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“Sissi & moi” de Frauke Finsterwalder



Sisi & Ich Film germano-austro-suisse de Frauke Finsterwalder (2023), avec Sandra Hüller, Susanne Wolff, Stefan Kurt, Georg Friedrich, Sophie Hutter, Maresi Riegner, Johanna Wokalek, Sybille Canonica, Angela Winkler, Markus Schleinzer, Anne Müller, Anthony Calf, Tom Rhys Harries, Annette Badland… 2h12. Sortie le 25 octobre 2023.



Susanne Wolff, Sandra Hüller et Sophie Hutter



Avec Corsage de Marie Kreutzer, on avait découvert une facette cachée d’Elizabeth d’Autriche dans une vision plutôt rock’n’roll qui évoquait à bien des égards le traitement réservé à Marie Antoinette par Sofia Coppola. Sissi & moi s’inscrit également dans cette lignée et confirme l’éternité de cette icône indémodable longtemps associée à une interprète unique, Romy Schneider, qui lui doit sa gloire grâce à la fameuse trilogie de Sissi réalisée par Ernst Marischka au milieu des années 50, mais aussi à son rôle dans Ludwig ou le crépuscule des dieux de Luchino Visconti, près de deux décennies plus tard. Aujourd’hui encore, cette souveraine fait l’objet de plusieurs films ou téléfilms chaque année en Autriche. Des productions qui ne sortent qu’exceptionnellement des frontières de leur pays natal. Le film de Frauke Finsterwalder fait donc figure d’exception qui confirmerait la règle, mais il le doit vraisemblablement moins à son sujet qu’à la personnalité de son interprète principale, l’actrice allemande d’Anatomie d’une chute, Sandra Hüller, laquelle campe en fait la dernière dame de compagnie de l’impératrice face à sa compatriote Susanne Wolff dans le rôle-titre, celle-ci étant surtout connue en France pour sa composition remarquée dans L’étranger en moi (2008) d‘Emily Atef. Une confrontation de pure fiction nourrie cependant des témoignages véridiques des diverses dames d’honneur qui se sont succédées au service de la souveraine. Avec en prime des anachronismes délibérés qui soulignent sa modernité et la dépeignent comme une rebelle sinon une féministe avant l’heure à travers sa détermination à transgresser des règles déjà désuètes.



Susanne Wolff et Sandra Hüller



Sissi & moi s’attache aux dernières années d’Elisabeth d’Autriche, à travers ses voyages autour de la Méditerranée et son retour douloureux en Bavière. Un destin public qui passe par des contrariétés privées et des relations parfois houleuses avec son entourage sans épargner son personnel, à commencer par la plus proche d’entre toutes, Irma, sa confidente et parfois souffre-douleur, qui jette sur le protocole et ses rituels un regard volontiers narquois, l’impératrice elle-même n’étant pas dupe de cette étiquette dont elle a cru pouvoir s’affranchir en prenant ses distances avec la cour. Nourri de ses carnets intimes, le film de Frauke Finsterwalder exalte une certaine idée de la liberté dans un milieu où le paraître a toujours pris le pas sur l’être et alors même que bon nombre d’historiens ont perpétué la légende d’une impératrice solitaire et dépressive. Il est par ailleurs emblématique d’une tendance récente du cinéma d’auteur qui consiste à déboulonner les idoles de leur socle en substituant à l’imagerie des manuels d’histoire une vision alternative volontiers irrespectueuse dont le pionnier fut naguère le réalisateur britannique iconoclaste Ken Russell. Sans aspirer à une telle ambition, Sissi & moi se contente d’humaniser cette figure populaire en proie à des sautes d’humeur, en soulignant sa modernité à travers un caractère parfois fantasque qui la pousse davantage vers le plaisir que vers les contraintes inhérentes à son rang et à la fonction de représentation qui lui est assignée. Une vision qui tranche avec les clichés habituels, mais cadre avec bon nombre de témoignages laissés par ses intimes. Le film joue en outre sur la complicité qu’elle entretient avec sa dame d’honneur, personnage clé dans son combat pour l’émancipation d’une fonction trop corsetée (on y revient !). C’est cette soif de modernité qui rend le personnage aussi attachant, à une époque où l’Europe se partage entre des souverains traditionnels et des républiques encore balbutiantes.

Jean-Philippe Guerand







Sandra Hüller (à droite)

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