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“Portraits fantômes” de Kleber Mendonça Filho




Retratos Fantasmas Documentaire brasilo-portugais de Kleber Mendonça Filho (2023), avec (voix) Kleber Mendonça Filho… 1h33. Sortie le 1er novembre 2023.





La cinéphilie constitue l’un des multiples chemins qui mènent au cinéma. Journaliste de formation, le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho a été critique et programmateur. Simultanément, depuis les années 90, il a pratiqué tous les formats de prise de vues existant ou ayant existé et a accumulé des images que le temps s’est chargé de transformer en archives comme sous l’effet d’une pierre philosophale. C’est dans ce pactole mémoriel qu’il a puisé l’inspiration de son documentaire Portraits fantômes, mais aussi dans les images de plusieurs courts métrages tournés dans sa ville de Recife dont les cinémas ont souvent été détournés de leur fonction originelle pour accueillir des rassemblements populaires. Il rend ici hommage à ces temples monumentaux pour la plupart disparus qui sont aussi indissociables de sa cinéphilie que des grands mouvements sociaux ayant agité l’état du Pernambouc. À travers cette évocation très personnelle et parfois intime, le réalisateur célèbre une époque qui a bercé ses années d’apprentissage en soulignant l’importance que jouent les lieux que traversent nos vies. Il n‘a confié à personne d’autre que lui le soin d’en dire le commentaire à la fois généreux et émouvant par ce qu’il révèle de son amour de ce cinéma qui l’a incité à transformer l’appartement familial en plateau de tournage avant de réaliser de chez lui cet hommage au cinéma grâce aux moyens de communication les plus modernes.





Portraits fantômes se compose à la fois de ces images, pour une bonne part jamais exploitées auparavant, ainsi que d’archives plus traditionnelles qui documentent ces époques successives au cours desquelles certaines séances se déroulaient devant des foules en délire communiant comme à une grand-messe païenne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains cinémas ont été reconvertis en lieux de culte et vice-versa, sans même en remplacer les sièges ou en restaurer les locaux. S’y ajoutent des entretiens qu’il a lui-même menés avec des survivants de l’âge d’or dans ses courts métrages, Casa de Imagem et Homem de projeção coréalisés avec Elissama Cantalice il y a trente ans et qui revêtent aujourd’hui une valeur historique ajoutée. Son film n’a toutefois pas la nostalgie mélancolique. C’est un témoignage formidable sur une époque révolue qu’on pourrait qualifier d’âge d’or dont le propos va de pair avec un véritable tour de force technologique. Tout simplement parce qu’au fil des ans, le cinéma amateur a traversé des mutations incessantes qui l’ont vu passer du super-huit a diverses supports vidéo de plus en plus éphémère qui supposent aujourd’hui pour être visionnés de posséder le matériel ad’hoc et de procéder à de délicates opérations de transcodage, avec le risque d’endommager l’image et le son. C’est aussi cette histoire parallèle que raconte le film à travers son processus de fabrication atypique. Présenté en mai dernier sur la Croisette dans le cadre de la section Cannes Classics, il raconte également la naissance d’une passion pour le cinéma dans tous ses états et constitue pour son auteur l’acquittement d’une sorte de dette d’honneur vis à vis de celles et ceux qui ont contribué à attiser la flamme en lui, en le faisant passer à travers le miroir, du statut de spectateur à celui de réalisateur.

Jean-Philippe Guerand










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