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“Notre corps” de Claire Simon



Documentaire français de Claire Simon (2023), avec Claire Simon… 2h48. Sortie le 4 octobre 2023.





Véritable tête chercheuse du documentaire, Claire Simon revient à son tour à une thématique sociologique brûlante, le système de santé, qu’elle a déjà évoqué dans son premier film, Les patients (1989), à travers le quotidien d’un médecin de campagne, et dans une moindre mesure dans Les bureaux de Dieu (2008), une fiction autour du Planning Familial. Elle adopte cette fois un angle très différent qu’on pourrait qualifier de souffrance des femmes. Installée pendant plusieurs mois au cœur de l’hôpital Tenon dont elle nous précise en préambule qu’il est séparé de chez elle par le cimetière du Père Lachaise qu’elle doit traverser dans un raccourci fulgurant entre la vie et la mort. Notre corps se concentre autour de certaines affections particulières et souligne certaines spécificités biologiques et interventions chirurgicales dont les hommes n’ont pas toujours conscience d’être préservés : cancers du sein, avortements, endométriose, PMA… Avec en prime les transitions de genre et toutes les modifications physiologiques et gynécologiques que subit le corps féminin au cours d’une seule vie. La caméra se met à l’écoute des échanges entre médecins et patients et met en évidence toutes ces vies affectées par la maladie qui constituent la face cachée de notre société. Toujours pudique, Claire Simon a juste laissé échapper au début du film que son propre père (atteint de sclérose en plaques) avait passé vingt-huit années sur un lit d’hôpital, ce qui induit de sa part une approche particulière de cet environnement. Le film dévide sa pelote de souffrances et de doutes derrière ces masques sanitaires hérités de la pandémie de Covid-19. Avec ce médecin qui demande systématiquement à ses visiteurs de l’ôter le temps d’un regard afin de pouvoir mettre des visages sur des noms. Une précaution qui en dit long sur le pouvoir d’empathie des soignants mis à mal par tant de contrariétés indépendantes de leur volonté, mais cramponnés au serment d’Hippocrate.





Notre corps a le mérite de remettre le patient au cœur du processus et de se concentrer sur le facteur humain. C’est en cela l’exact opposé d’une œuvre expérimentale comme De Humani Corporis Fabrica de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, sorti en janvier dernier, qui montrait l’invisible en filmant des opérations chirurgicales à l’aide de caméras miniaturisées, au point d’en arriver à déshumaniser la souffrance. Claire Simon revient au centre de gravité de son cinéma. Au point d’être rattrapée par la réalité à son insu. Alors que son projet lui a été inspiré par la productrice Kristina Larsen suite à un séjour de deux ans à l’hôpital, la réalisatrice apparaît soudainement à l’écran, elle-même victime d’un cancer du sein qui nécessite une ablation, et pose aux médecins des questions qui reflètent le désarroi et l’incompréhension de la plupart des gens face à l’inconnu que représente la maladie. Cinéaste avant tout, elle a demandé à cette occasion à sa collaboratrice Céline Bozon de filmer l’annonce d’un diagnostic dont elle savait que c’était une situation jamais montrée à l’écran, tant elle convoque de sentiments et de sensations extrêmes. C’est là où intervient son talent de documentariste rompue à toutes les situations qui intègre son cas personnel sans jamais se dérober devant ses implications. Elle trouve ainsi sa place dans son propre film sans l’avoir anticipé et joue de cet impondérable comme de n’importe quelle autre situation, sans tricher avec ses réactions face à l’inconnu, ni même chercher à minimiser ou à donner une place disproportionnée à un imprévu qui a sans doute entraîné des questionnements fondamentaux quant à la suite de la réalisation de son film. Mais ça, il n’en est jamais question. Notre corps ne dévie jamais de son propos, mais nous invite à l’empathie sans pathos. Juste en nous confrontant à une réalité dont on ne perçoit bien souvent que des bribes éparses.

Jean-Philippe Guerand







Claire Simon

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