Perdidos en la noche Film mexicano-germano-néerlando-danois d’Amat Escalante (2023), avec Juan Daniel García Treviño, Ester Expósito, Bárbara Mori, Fernando Bonilla, Jero Medina, Mayra Hermosillo, Vicky Araico… 2h02. Sortie le 4 octobre 2023.
Fernando Bonilla, Bárbara Mori et Ester Expósito
Fils d’une activiste écologiste portée disparue alors qu’elle menait la lutte contre une puissante société minière, un jeune homme entre malgré lui dans l’intimité d’une famille de notables afin de résoudre cette énigme dont la police et la justice se sont désintéressées. Considéré comme l’un des représentants les plus caractéristiques du cinéma mexicain contemporain, bien que né en Espagne, l’autodidacte Amat Escalante a la réputation de ne jamais se dérober devant les sujets parfois radicaux qu’il aborde. Son nouveau film marque toutefois une franche rupture avec ceux qui l’ont précédé. Il débute comme un thriller social dans une obscurité oppressante qui sied bien à sa noirceur, puis accomplit en quelque sorte une sorte de parcours vers la lumière et une clarté littéralement aveuglante. Un périple chromatique passionnant qui accompagne avec autant d’audace que d’intelligence l’itinéraire du personnage principal vers la rédemption. Le titre lui-même reflète cet état d’esprit. Perdu dans la nuit (Lost in the Night), le jeune homme l’est finalement autant que sa mère disparue et ne pourra se mettre en paix avec sa conscience qu’en s’acquittant de son devoir filial. Quitte à s’y brûler les ailes. Avec ce dogme cher à certains auteurs de romans noirs selon lequel toutes les intrigues ne méritent pas nécessairement d’être élucidées. Pour avoir souvent œuvré parmi les zones les plus sombres de l’inconscient, de Sangre (2005) à Los bastardos (2008) coproduits par Carlos Reygadas, voire aux confins du fantastique, comme dans La région sauvage (2016), Escalante n’a jamais brillé particulièrement par son optimisme. Il accomplit toutefois dans son nouveau film une sorte de parcours initiatique parallèle à celui de son protagoniste qui se caractérise par son recours à des interprètes atypiques choisis pour leur proximité avec leurs personnages et aussi une lueur d’optimisme ténue qui semble attester d’un véritable changement de paradigme.
Juan Daniel García Treviño et Ester Expósito
Sous les dehors d’un film noir qui dérive peu à peu vers la satire sociale, Lost in the Night traite ni plus ni moins de la lutte des classes en orchestrant la rencontre de deux mondes a priori hermétiques. Fort de l’expérience accumulée en réalisant de nombreux épisodes de la série “Narcos” de 2018 à 2021, mais aussi de deux prix de la mise en scène reçus à Cannes pour Heli (2013) et à Venise pour La région sauvage, Amat Escalante choisit pour anti-héros un garçon tout juste sorti de l’adolescence en révolte contre la société qui l’a condamné à rester tout en bas de l’échelle. Un personnage sur lequel les événements vont exercer un impact déterminant en le confrontant à un milieu a priori inaccessible. Avec face à lui deux protagonistes féminins aux antipodes l’une de l’autre dont un amour de jeunesse qui le renvoie à son passé et cette idée sous-jacente que la jeunesse demande des comptes à ses aînés pour mieux lutter contre la bipolarisation en repartant sur des bases plus saines. Le réalisateur a choisi pour cela de confier le rôle principal à un technicien qui l’a assisté au moment du casting, Juan Daniel García Treviño, à qui il a demandé de donner la réplique aux candidats qu’il auditionnait afin de mieux pouvoir guetter ses réactions. Quant à sa partenaire féminine, Ester Expósito, c’est une Youtubeuse qui n’a éprouvé aucune difficulté à se glisser dans le maillot de bain de son personnage de justicière improvisée. Lost in the Night mériterait d’accroître d’un coup l’auditoire confidentiel d’Amat Escalante qui élargit quant à lui considérablement la focale de son cinéma de combat et s’offre même quelques scènes d’anthologie qui sont bien davantage que des effets de coquetteries anecdotiques. Difficile de rester insensible à ce coup de poing.
Jean-Philippe Guerand
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