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“Lost Country” de Vladimir Perisič



Film franco-serbo-luxembourgo-croate de Vladimir Perisič (2023), avec Jovan Ginic, Jasna Duričić, Miodrag Jovanović, Lazar Ković, Pavle Čemerikić, Boris Isaković, Dusko Valentic, Helena Buljan… 1h38. Sortie le 13 octobre 2023.



Jovan Ginic



Révélé par la Semaine de la critique en 2009 avec son premier long métrage, Ordinary People, puis revenu présenter en séance spéciale un sketch du film collectif Les ponts de Sarajevo (2014), Au gré de nos ombres, Vladimir Perisič est hanté par la guerre fratricide qui a dévasté l’ex-Yougoslavie. Celle-ci sert de cadre au nouvel opus de ce cinéaste serbe qui se déroule en 1996 et s’attache au mal-être d’un adolescent négligé par sa mère avec laquelle il entretient une relation fusionnelle et qui est porte-parole du parti de Miloševic menacé par une insurrection étudiante. Le cinéaste a fait appel à Alice Winocour pour intégrer cette chronique d’apprentissage douloureuse dans un contexte historique abrasif et prendre un certain recul sur ces événements qu’il a vécus lui-même à 20 ans. L’intrigue mêle adroitement ce mal de vivre qui caractérise l’âge ingrat et des questionnements plus profonds autour de la notion de culpabilité d’un adolescent confronté à des adultes dénués de scrupules. Lost Country revient sur une période historique douloureuse dont les morceaux épars constituent une plaie jamais cicatrisée en plein cœur de l’Europe orientale. Hanté par le Roberto Rossellini d’Allemagne année zéro (1948) et son enfant errant dans les décombres de Berlin, Vladimir Perisič signe une chronique mémorielle puissante sur laquelle souffle un vent de nostalgie à travers ce grand-père résistant antifasciste nostalgique de la Yougoslavie de Tito qu’on découvre au début de ce film engagé, déconcerté par son époque.



Jasna Duričić et Jovan Ginic



L’action se déroule en 1996 en Serbie, alors que se déroulent des manifestations estudiantines contre le régime de Milošević et qu’une guerre civile semble imminente. Stefan, 15 ans, est élevé par sa mère absente, elle-même trop absorbée par ses fonctions au sein de la sphère politique pour prêter l’attention qu’elles méritent aux perturbations de l’adolescent. Une conjonction d’événements qui viennent percuter une existence jusqu’alors protégée et faire intrusion dans un cocon en passe de se transformer en enfer. Lost Country porte un regard plutôt cruel sur le monde des adultes : celui d’un jeune homme que sa mère n’a pas vu grandir et qui, à force de trop de non-dits, l’a entraîné dans une sorte de voie sans issue existentielle où certains de ses camarades le stigmatisent pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Aux affres de ce difficile passage dans l’âge adulte s’ajoute un contexte explosif qui fait écho à ses tourments les plus intimes. Remarqué pour son premier long métrage, Ordinary People (2009), déjà sélectionné à Cannes par la Semaine de la critique, et sa contribution au film collectif Les ponts de Sarajevo (2014), Vladimir Perisič utilise l’histoire troublée de son pays comme un révélateur à des événements ô combien plus intimes. Il signe avec son nouvel opus une œuvre aussi magistrale qu’universelle qui dépasse allègrement son cadre géopolitique en soulignant à quel point il est douloureux de grandir quand on réalise qu’on sort de la sphère d’influence de ses parents pour rallier ses camarades. C’est même ce qu’on qualifie parfois hâtivement de fossé des générations. Un propos ambitieux qui atteint ici un point de non-retour inoubliable.

Jean-Philippe Guerand



Jovan Ginic

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