Film français d’Iris Kaltenbäck (2023), avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse, Younès Boucif, Radmila Karabatic, Ana Blagojevič, Grégoire Didelot, Mathieu Perotto… 1h37. Sortie le 11 octobre 2023.
Hafsia Herzi et Alexis Manenti
Sage-femme discrète et dévouée, Lydia vit en quelque sorte par procuration. Alors que son quotidien consiste à mettre des bébés au monde, la solitude commence à lui peser. Le fait que sa meilleure amie devienne maman et qu’elle prenne elle-même un nouveau départ sentimental avec un chauffeur de bus devraient être de nature à la rassurer. Mais elle largue les amarres de la réalité et commence à s’enfermer dans des mensonges qui menacent son équilibre et sa raison. Jusqu’à un point de non-retour. Une vie rêvée plutôt que vécue qui l’entraîne vers des horizons inconnus… Pour son premier long métrage, couronné du Prix SACD à la Semaine de la critique, particulièrement justifié par son écriture implacable, Férue de droit et amatrice de faits divers, avec une fascination pour la maternité qui s’exprimait aussi dans le film de Raphaël Jacoulot L’enfant rêvé (2020) auquel elle avait contribué comme coscénariste, Iris Kaltenbäck a choisi de se concentrer sur une jeune femme en proie à des conventions sociales qui l’écrasent et lui font perdre pied peu à peu avec la réalité. Il s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de son court Le vol des cigognes (2015) qui en était en quelque sorte l’esquisse inversée. Un rôle écrasant qui joue sur une constante retenue et dont Hafsia Herzi est l’éblouissante interprète, sur un registre qui évoque celui d’Isabelle Huppert dans La dentellière (1977) de Claude Goretta. Perdue dans un monde qui la dépasse, elle se réfugie dans des fantasmes parfois stéréotypés qu’elle ne parvient plus à distinguer de la réalité, mais qui contribuent à construire un univers alternatif dans lequel elle finit par se sentir plus à l’aise qu’elle ne l’a jamais été jusqu’à présent, ses nuits étant sans doute plus belles que ses jours.
Hafsia Herzi et Nina Meurisse
À l’image de son beau titre polysémique qui a quelque chose à voir avec le vertige, Le ravissement est un film poignant qui scrute de façon clinique la lente dérive d’un esprit fragile confronté à un destin trop lourd qui déclenche en lui une sorte de réaction d’auto-défense épidermique. La mise en scène souligne avec une infinie délicatesse la façon dont ce personnage discret jusqu’à la transparence se détache peu à peu du monde qui l’entoure pour rêver sa vie, quitte à se convaincre qu’elle évolue dans un univers alternatif où elle puise ce qui lui plaît parmi son entourage et s’enferme dans des mensonges dont l‘issue semble inéluctable. Sous le mélodrame apparent se cache une chronique de la folie ordinaire où rien n’est toutefois jamais pesant ni même appuyé. C’est parce qu’elle accumule des désillusions et des déconvenues que cette jeune femme discrète et rassurante décide de donner quelques coups de pouce à son destin afin de le conformer à ses désirs, plutôt que de contribuer elle-même à son bonheur en relevant la tête pour affronter les aléas d’un réel aux contours de plus en plus flous. Un rôle en or pour Hafsia Herzi qui livre là l’une des plus riches compositions de sa carrière déjà bien remplie. Avec face à elle un joker talentueux en la personne d’Alexis Manenti, jamais aussi expressif que dans les rôles de taiseux, et Nina Meurisse, vue récemment aux côtés de Céline Sallette dans Les algues vertes de Pierre Jolivet, qui arbore ici un autre visage du bonheur. Préparez vos mouchoirs !
Jean-Philippe Guerand
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