Film français de Nadir Moknèche (2023), avec Youssouf Abi-Ayad, Kenza Fortas, Saadia Bentaïeb, Zinedine Soualem, Lubna Azabal, Zahia Dehar, Arturo Giusi Périer, Mehdi Boudina, Mélissa Barbaud, Karina Testa, Mike N’Guyen, Vincent Heneine… 1h30. Sortie le 4 octobre 2023.
Lubna Azabal
Un célibataire rennais d’origine algérienne soumis à la pression de ses parents consent à contracter un mariage arrangé avec une fille de sa communauté qu’il n’a pas choisie. À ce détail près que lui qui a toujours dissimulé son homosexualité à ses proches doit céder à ce diktat anachronique dont son épouse n’est pas davantage dupe que lui, elle qui a parfois outrepassé les limites de la légalité. Nadir Moknèche trouve constamment le ton juste pour traiter de ce sujet délicat qui provoque une secousse tellurique entre tradition et modernité au cœur d’une société française bien peu compatible avec certaines pratiques d’un autre âge. L’audace du film repose sur son contexte. En effet, le cinéma situe généralement ce genre de thématiques dans des territoires encore en décalage sur la question des mœurs, comme c’était le cas dans le Maroc du Bleu du caftan de Maryam Touzani, autre évocation subtile du tabou de l’homosexualité dans laquelle apparaissait déjà l’actrice porte-bonheur du réalisateur, Lubna Azabal, laquelle campe ici la mère de la mariée, elle-même très affranchie. Le réalisateur talentueux de Viva Laldjérie (2004) et Goodbye Morocco (2012) s’appuie en outre sur des interprètes dont l’alchimie fait merveille, qu’il s’agisse du couple central formé par Youssouf Abi-Ayad et Kenza Fortas, de ses parents bouchers à lui qu’incarnent Saadia Bentaïeb et Zinedine Soualem en se pliant aux règles d’un jeu de dupes ou de la toujours touchante Zahia Dehar en décalage perpétuel.
Zahia Dehar et Kenza Fortas
Derrière son beau titre poétique qui résume assez justement son état d’esprit, L’air de la mer rend libre a le mérite de montrer les stratagèmes auxquels sont parfois obligés de se soumettre certains membres de la communauté maghrébine pour pouvoir vivre en plein accord avec leurs sentiments. Nadir Moknèche s’attache là à un comportement induit par le fossé qui s’est creusé au fil du temps entre le respect de certaines pratiques qui peuvent paraître d’un autre âge et une évolution des mœurs qui ne cesse de s’accélérer en se mondialisant. Un décalage sociétal qui ne peut se résoudre que par le mensonge et la dissimulation. C’est cette hypocrisie endémique que met en évidence cette étude de mœurs dans laquelle le mariage est considéré comme un véritable pacte social sinon une transaction commerciale dont l’institution devient à la fois une protection et un rempart contre les assauts de l’extérieur qui autorise chacun à vivre selon ses désirs en préservant les apparences aux yeux du monde extérieur. Pas sûr que ce film audacieux et courageux voie sa diffusion autorisée dans les pays du Maghreb. Il s’impose toutefois par sa sincérité et un refus du manichéisme qui montre que tous les protagonistes sacrifient à des concessions pour préserver les apparences sinon… la paix des ménages.
Jean-Philippe Guerand
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