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“Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique” de Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist



Documentaire canadien de Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist (2022), avec Marion Séclin, Laura Boldrini, Kiah Morris, Laurence Gratton… 1h20. Sortie le 4 octobre 2023.



Marion Séclin



Derrière le titre provocateur de ce documentaire se cache un problème de société devenu mondial : le cyber-harcèlement dont les femmes constituent l’une des cibles privilégiées. Les réalisatrices canadiennes Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist choisissent quatre exemples qui en disent long sur l’ampleur de ce phénomène, son pouvoir de nuisance, mais aussi l’impunité des coupables qui se dissimulent derrière des numéros IP intraçables et de leurs victimes dont la parole n’est jamais prise en compte avec suffisamment de sérieux. Résultat des vies brisées et des délits sous-estimés qui légitiment la misogynie ordinaire comme un phénomène périphérique et négligeable. Ce film a le mérite de donner la parole à des femmes courageuses qui tentent, chacune à sa façon, de faire bouger les lignes. Deux d’entre elles ont choisi pour cela la politique et se sont donc exposées doublement à la vindicte populaire : d’abord par leurs positions idéologiques, évidemment démocratiques et progressistes, ensuite par leur statut de femmes dans un monde dominé par le machisme. C’est le point commun entre l’ex-présidente du parlement italien Laura Boldrini, filmée avant l’accession au pouvoir de la première Première Ministre transalpine Giorgia Meloni, et l’américaine Kiah Morris, élue démocrate de l’État du Vermont qui a renoncé à postuler à un troisième mandat à la chambre des représentants, suite à une campagne de harcèlement à la fois raciste et phallocrate.



Kiah Morris



Aux côtés de ces deux figures de proue du féminisme, Je vous salue salope s’attache à deux autres personnalités de la société civile. L’enseignante québécoise Laurence Gratton intervient en tant que victime d’un corbeau numérique qui l’a prise pour cible depuis leurs études communes et semble s’être juré de détruire son existence et de saper ses ambitions, sans jamais avoir été inquiété par la justice, alors que son identité est connue. Transfuge du fameux Studio Bagel, la Française Marion Séclin met quant à elle son talent de Youtubeuse au service de ses convictions féministes et essuie en tant que telle des intimidations et des menaces permanentes qui lui ont valu de subir plusieurs campagnes de harcèlement en ligne, menaces de viol et même de mort à l’appui. À travers ces quatre personnalités, Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist dénoncent des pratiques scandaleuses dont les présumés coupables ne sont le plus souvent même pas inquiétés, soit que l’anonymat du Web les rendent insaisissables, soit que les menaces dont ils se sont rendus coupables n’entrent pas encore dans un cadre juridique précisément codifié. Au-delà du torrent de haine que déclenche le féminisme chez certains défenseurs du patriarcat, Je vous salue salope… dénonce un inquiétant retour à l’obscurantisme qui renvoie aux chasses aux sorcières du Moyen-Âge et bénéficie d’une conspiration du silence dont le résultat est de protéger insuffisamment les victimes sans inquiéter les coupables. Avec des conséquences désastreuses sur l’engagement de ces femmes au service de leur collectivité.

Jean-Philippe Guerand








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