Las buenas compañías Film hispano-français de Sílvia Munt (2023), avec Alicia Falcó, Itziar Ituño, Elena Tarrats, Maria Cerezuela, Ainhoa Santamaria, Itziar Aizpuru, Ivan Massagué, Miguel Garcés, Mikel Laskurain… 1h35. Sortie le 18 octobre 2023.
Alicia Falcó et Elena Tarrats
Il est des sujets dans l’air du temps. C’est ainsi qu’En bonne compagnie est en quelque sorte la version ibérique d’Annie colère de Blandine Lenoir. Une évocation de cette période pas si lointaine où les femmes devaient se soumettre à des interruptions de grossesse clandestines faute de légalisation de l’avortement. Avec, en Espagne, une sorte de double peine due aux spectres du régime franquiste dont le fondateur, mort en 1975, a adoubé le retour de la monarchie, et aux échanges de bons procédés entre le pouvoir poliique conservateur et la toute puissante Église catholique, peu amène dans le domaine des mœurs et passablement indifférente à la souffrance des femmes. Lauréate du Goya de la meilleure actrice en 1991 pour Alas de mariposa de Juanma Bajo Ulloa, la réalisatrice Sílvia Munt s’attache dans cette chronique chaleureuse à la sororité qui lie plusieurs d’entre elles, unies dans l’adversité, face à la toute puissance du mâle méditerranéen dominateur et macho. Les événements auxquels elle s’attache trouvent en outre un écho singulier dans notre société contemporaine qui explique sans doute pour une bonne part pourquoi le cinéma ne s’en empare qu’aujourd’hui. L’action se déroule en 1977 au Pays Basque où commence à donner de la voix un mouvement féministe encore discret que rallie une adolescente de 16 ans qui personnifie son avenir. Le film s’inspire d’ailleurs d’un mouvement authentique baptisé “Les 11 de Basauri” qui est venu en aide à plus d’un millier de femmes désireuses d’avorter et dont le combat, marqué par un emprisonnement et six ans de procès, a abouti à la dépénalisation officielle de l’IVG.
Il souffle sur En bonne compagnie un vent de liberté et d’espoir qui passe par d’infimes détails et le soin apporté à la reconstitution de cette époque où l’Espagne sortait doucement du tunnel, tandis que les femmes enduraient en quelque sorte une double peine du fait de leur fonction de procréatices. En choisissant de se concentrer sur la solidarité qui les unit et abolit les différences d’âge et de milieu social, le film mise sur une force d’empathie peu commune sans jamais céder à la complaisance ou à la mièvrerie. Il le doit notamment à la qualité du casting réuni par Sílvia Munt, à commencer par ses trois interprètes principales : Alicia Falcó (une révélation !), Itziar Ituño (sacrée meilleure actrice à Toulouse Cinespaña 2015 pour son rôle dans Loreak) et Elena Tarrats. Le scénario nous épargne les tirades démonstratives pour se concentrer sur la solidarité de ces combattantes de l’ombre unies pour une juste cause qui a véritablement fait évoluer la société espagnole, même si c’est une décennie après la loi Veil. Au passage, le film décrit une société traditionnaliste plutôt arriérée en matière de mœurs qui tarde à se moderniser et dans laquelle les femmes semblent condamnées à se battre seules pour briser le carcan du patriarcat dominateur. Le film préfère toutefois s’attarder sur ce qui les lie plutôt que sur les innombrables barrières symboliques qu’elles doivent abattre pour obtenir gain de cause, selon une recette éprouvée par le cinéma hollywoodien où la lutte du pot de terre contre le pot de fer passe toujours par les mêmes étapes obligées. Par ailleurs, pour une fois, le fait que le film s’inspire d’une histoire vraie n’est pas qu’une mention artificielle destinée à cautionner les digressions les plus invraisemblables, mais plutôt un solide ancrage dans le réel d’un monde que les plus jeunes de nos contemporains pourraient avoir quelque mal à se représenter à un demi-siècle de distance.
Jean-Philippe Guerand
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