Documentaire français de Brice Gravelle (2023), avec Philippe Ginestet, Brigitte Ginestet, Benjamin Castaldi, Sophie de Menthon, Nicolas Bays… 1h33. Sortie le 4 octobre 2023.
Philippe et Brigitte Ginestet (à gauche)
Le héros de ce film est un illustre inconnu qui peut se targuer d’être à la tête de la vingt-septième fortune de France. Un ex-meilleur vendeur d’Electrolux France qui a créé l’enseigne Gifi au moment où François Mitterrand devenait Président de la République et a choisi pour devise un slogan dont il revendique la naïveté : “Des idées de génie !” En lui consacrant un film, Brice Gravelle ne pouvait prévoir dans quelle aventure il embarquait. Cette odyssée entreprise en 2017 l’a d’ailleurs entraîné dans une autre dimension au moment même où Philippe Ginestet reprenait une enseigne mythique, Tati, et tentait d’y appliquer les méthodes qui lui avaient si bien réussi. Fier d’être le roi du bazar, ce patron au paternalisme assumé a mis au point un management dont aucune école de commerce n’enseigne la technique, tant il s’est affranchi des pratiques traditionnelles. Pour lui, le commerce est un sacerdoce qu’il exerce avec une passion qu’on pourrait juger excessive sinon dépassée. Il considère ses employés comme ses enfants et entend par extension que ceux-ci traitent leurs clients comme des amis. Des méthodes qui ont longtemps régi le petit commerce, mais ont peu à peu été abandonnées sous l’influence du marketing au profit d’un objectif unique : le profit. Le talent de Philippe Ginestet a consisté à pérenniser ces pratiques que ses concurrents abandonnaient et à les appliquer à la grande distribution en ravivant cette ancienne antienne qui affirme que « le client est roi ». Quant à ses goûts, ils sont simples : poker en ligne et jet-ski. Un grand enfant qui ne détonnerait pas à Las Vegas, en somme.
Brice Gravelle et Philippe Ginestet
En jouant sur la durée (cinq ans de tournage !), Brice Gravelle est parvenu à s’introduire au cœur du cercle le plus intime de Ginestet, au point de devenir invisible à ses yeux et d’arriver à filmer des moments de vérité prodigieux qui reflètent le rapport de confiance qui s’est instauré entre eux. La reprise de Tati constitue à ce titre une sorte de morceau de bravoure. C’est à la fois la consécration de sa carrière par ce qu’elle représente sur le plan symbolique et un choc du réel terriblement violent lorsque le chef d’entreprise réalise malgré lui que cette ultime conquête risque de se fracasser contre une philosophie commerciale radicalement différente. Ne serait-ce que parce que la clientèle de cette enseigne n’a pas les mêmes attentes que celle qui a fait le succès de Gifi et que l’une et l’autre sont irréconciliables, dans la mesure où elles appartiennent à des époques différentes et à des clientèles dont les motivations divergent. C’est toute la subtilité de ce documentaire ni complaisant ni vindicatif.
Philippe Ginestet
Autre constatation de ce manuel du parfait Self Made Man : ce nabab qui ne se déplace qu’en jet privé, son seul signe extérieur de richesse avec ce yacht qu’il sous-loue l’essentiel de l’année, n’affiche que peu de goût pour le luxe ostentatoire et ne se montre jamais autant en verve que lorsqu’il joue les grands gourous du marketing devant ses “forces de vente” si dévouées. Et même si son entourage proche compte des personnalités aussi controversées que Benjamin Castaldi ou Sophie de Menthon, il n’est pas dupe des courtisans. Il préfère la compagnie de ses employés dont il récompense la fidélité en entretenant leur esprit d’équipe par des séminaires ou des séjours au ski et en leur inculquant ses méthodes dans des saynètes et des sketches qu’il interprète lui-même. Au point d’en arriver à séduire le réalisateur, qui apparaissait plutôt hostile sinon circonspect au début et que sa proximité sur la durée a visiblement influencé favorablement, tant le personnage se montre chaleureux et attendrissant, sans afficher la moindre méfiance ostensible vis-à-vis de son interlocuteur avec lequel il semble jouer franc-jeu, tant sa vie et son métier ne font qu’un. Il semblerait toutefois qu’il n’ait pas beaucoup apprécié le résultat qui porte pourtant un autre regard sur le patronat à travers ce cabotin paternaliste aussi attaché à ses employés qu’à son caniche.
Jean-Philippe Guerand
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