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“Chambre 999” de Lubna Playoust



Documentaire français de Lubna Playoust (2023), avec Wim Wenders, Rebecca Zlotowski, Kleber Mendonça Filho, David Cronenberg, James Gray, Audrey Diwan, Pietro Marcello, Joachim Trier, Arnaud Desplechin, Lynne Ramsay, Shannon Murphy, Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Claire Denis, Davy Chou, Baz Luhrmann, Alice Winocour, Olivier Assayas, Paolo Sorrentino, Agnès Jaoui, Kirill Serebrennikov, Cristian Mungiu, Albert Serra, Monia Chokri, Ruben Östlund, Clément Cogitore, Alice Rohrwacher… 1h25. Sortie le 25 octobre 2023.



Wim Wenders



À l’occasion du Festival de Cannes 1982, Wim Wenders avait signé avec Chambre 666 un moyen métrage documentaire tourné en 16mm et enregistré avec un magnétophone Nagra dans lequel une quinzaine de réalisateurs internationaux défilaient dans la dernière chambre libre de l’hôtel Martinez pour tenter de répondre à cette question déjà d’actualité : « Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ? » Parmi ceux-ci, Rainer Werner Fassbinder, mort quelques jours plus tard et dont son compatriote et confrère allemand a ainsi recueilli l’ultime interview. Quarante ans plus tard, la comédienne Lubna Playoust reprend ce même principe dans Chambre 999 en s’inspirant de ce film tourné l’année même de sa naissance. Ses intervenants sont confrontés cette fois à une caméra numérique automatisée devant laquelle ils sont conviés à répondre à la même question. Tourné pendant l’édition 2022 du Festival de Cannes, ce florilège prestigieux débute par une intervention préliminaire de Wim Wenders et réunit dix-huit de ses confrères pour un état des lieux d’où affleurent des menaces concrètes et des dangers potentiels. Mais la crise du cinéma est aussi longue que l’histoire du septième art proprement dite et il émane de cet état des lieux un formidable enthousiasme de ces réalisateurs face à la vitalité d’une discipline en état de mouvement permanent. Ce constat nécessaire n’est toutefois en aucun cas un enterrement en grande pompe par des observateurs amers ou aigris, mais plutôt un état des lieux lucide que parcourt un fil rouge : leur amour immodéré et déraisonnable du cinéma comme un havre de consolation.



Alice Rohrwacher



Là où le numéro de la chambre d’hôtel dans laquelle Wenders avait accueilli ses témoins évoquait ironiquement le fameux nombre du diable, celui de sa nouvelle version clôt symboliquement un cycle de la numérologie. Sur le fond proprement dit, ce défilé développe des thématiques d’autant plus actuelles qu’elles sont le fruit d’une passion unique pour un langage qui ne cesse d’évoluer et de se transformer. Avec deux menaces récurrentes : les plateformes de streaming qui organisent le chaos en menaçant l’essence même d’un cérémonial sanctifié par les cinéphiles depuis près de treize décennies, mais aussi ces loisirs concurrents que sont les jeux vidéo ou la VR qui menacent ce plaisir collectif du cinéma en tant que citadelle d’émotions partagées. Pour le reste, il émane de ces interlocuteurs seuls à seuls avec une caméra automatisée davantage d’individualisme qu’un véritable sens du collectif, à l’image du numéro incroyable de pantomime auquel se livre le cinéaste russe Kirill Serebrennikov en délicatesse avec son pays natal. Par son dispositif qui décline le principe des fameux Cinématon de Gérard Courant, la parole en plus, Chambre 999 va bien au-delà des théories qui s’y expriment et prend parfois l’allure d’un confessionnal païen dont les intervenants rêveraient d’être des prophètes, en passant de l’arrière à l’avant de la caméra, qui plus est sans personne pour les guider ou les contredire. Avec en ligne de mire une profonde incertitude quant à l’avenir d’un cinéma en crise depuis sa naissance, mais qui a toujours su rebondir pour mieux se renouveler.

Jean-Philippe Guerand






Kirill Serebrennikov

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