Film français de Léa Domenach (2023), avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Sara Giraudeau, Laurent Stocker, François Vincentelli, Lionel Abelanski, Artus, Aloïs Menu, Bertrand Goncalves, Jacky Nercessian… 1h32. Sortie le 4 octobre 2023.
Catherine Deneuve et Michel Vuillermoz
Il y a peu de temps encore, le cinéma français avait la répétition de se montrer frileux vis-à-vis de l’histoire contemporaine qu’il n’osait pas aborder frontalement. Certes, le Général de Gaulle était bien apparu çà et là sous les traits de son sosie Adrien Cayle-Legrand, notamment dans Chacal (1973) de Fred Zinnemann où il n’était qu’une cible dans la lunette d’un fusil. L’irrévérence est arrivée avec Les œufs brouillés (1976) de Joël Santoni, une comédie inspirée de l’initiative qu’avait pris le président Valéry Giscard d’Estaing d’aller dîner chez des Français moyens. Ce n’est toutefois que bien plus tard, au tournant du millénaire, que le petit et le grand écrans ont osé citer nommément leurs dirigeants, que ce soit François Mitterrand dans Le promeneur du Champ de Mars (2005) de Robert Guédiguian ou Nicolas Sarkozy dans La conquête (2010) de Xavier Durringer où Bernard Le Coq campe Jacques Chirac, la personnalité sans doute la plus souvent représentée de la Cinquième République. On le retrouve aujourd’hui sous les traits de Michel Vuillermoz dans le biopic de son épouse, toujours de ce monde. Un autre regard sur la politique française à travers une femme qui refuse de se cantonner à un rôle de potiche et réussira à exister sur la photo officielle, notamment à travers son implication dans la fameuse collecte des pièces jaunes. Avec Artus impayable en David Douillet.
Catherine Deneuve et Denis Podalydès
Bernadette est un biopic décalé et narquois qui pointe l’absence de statut défini des Premières Dames à travers leur relégation à des tâches dites subalternes. La réalisatrice en est en quelque sorte une enfant du sérail, puisqu’il s’agit de la fille du journaliste politique Nicolas Domenach. Elle a par ailleurs écrit le scénario de son premier long métrage avec Clémence Dargent dont le nom a été associé à la série de Canal + Ovni(s) qui proposait une immersion dans la France de la fin des années 70. Le film débute quant à lui avec l’élection de Jacques Chirac, en mai 1995 et adopte le point de vue de son épouse, tandis que leur fille Claude s’efforce de régenter l’exercice du pouvoir en soutenant son père. Un rôle d’éminence grise tenu à merveille par Sara Giraudeau. En adoptant le parti d’en rire, Bernadette propose un regard singulier et parfois irrévérencieux sur les plus hautes sphères de l’État, en s’appuyant sur des faits pour la plupart avérés. Le personnage doit en outre énormément à la plus improbable des interprètes, Catherine Deneuve, qui ose tout et livre une prestation d’anthologie, dans la veine de ses rôles dans Palais Royal ! (2005) de Valérie Lemercier et Potiche (2010) de François Ozon. L’icône internationale du cinéma français adopte à cet effet un look improbable dont elle joue à merveille. Léa Domenach accomplit une entrée fracassante au sein du cinéma français en abordant le plus ingrat des genres, la comédie, sans céder à aucune de ses facilités. Au point que Bernadette peut aussi être considéré comme un authentique film politique et une réflexion en profondeur sur la place ingrate qu’occupent les femmes politiques dans un pays qui n’en a encore jamais élue comme présidente.
Jean-Philippe Guerand
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