Anselm (Das Rauschen der Zeit) Documentaire de création germano-français de Wim Wenders, avec Anselm Kiefer, Daniel Kiefer, Anton Wenders… 1h33. Sortie le 18 octobre 2023.
Anselm Kiefer parmi ses œuvres
La 3D, Wim Wenders y avait goûté pour la première fois avec Pina (2011). À l’époque, il avait même déclaré qu’il ne pourrait plus jamais revenir au cinéma en deux dimensions. Les impératifs commerciaux en ont décidé autrement. Après deux courts métrages expérimentaux dans ce format (If Buildings Could Talk en 2010 et Two or Three Things I Know about Edward Hopper en 2020) dont il a sans doute été le premier à prendre toute la mesure, il s’en empare à nouveau aujourd’hui, alors que cette technologie qu’il considère comme un langage à part entière a accompli des progrès considérables, en s’allégeant peu à peu de ses contraintes passées. En attendant ce fameux relief sans lunettes qui semble désormais imminent, le cinéaste allemand creuse son sillon documentaire en s’attachant à la personnalité de l’artiste plasticien Anselm Kiefer, de trois mois son aîné, célèbre pour ses œuvres monumentales, son travail sur la matière et un sens certain de la provocation qui lui a parfois valu une réputation sulfureuse et l’a incité à s’exiler pour ne pas avoir à assumer un héritage allemand dont il percevait parfois des séquelles nauséabondes chez certains de ses compatriotes. Il a ainsi posé en parodiant le salut nazi pour interpeller son peuple en délicatesse avec son passé jusqu’à l’effacer de son patrimoine. Simultanément, il a façonné ses créations de matériaux inusités mais symboliques : paille, plomb, végétaux, sable, cendres et même cheveux qu’il a intégrés sous toutes leurs formes. Face à lui, son ami cinéaste pratique quant à lui une autre forme de transmutation de la matière en investissant le no man’s land qui sépare la fiction du documentaire.
Wenders filme sous toutes les coutures son compatriote installé en France depuis trente ans avec lequel il a noué des liens en 1991. Il exploite en outre les ressources esthétiques de la 3D pour rendre compte de la singularité de son œuvre, qu’il collecte des éléments dans l’entrepôt qu’il a acheté à la Samaritaine, consulte des ouvrages ou achève une œuvre au lance-flammes. L’artiste est aussi représenté enfant puis adolescent sous les traits de deux interprètes nommés… Anton Wenders et Daniel Kiefer. Comme pour dresser un pont entre les générations en invitant ces jeunes gens à incarner leurs aînés au même âge. Détail révélateur de la complicité qui unit l’artiste à son modèle, sans qu’on sache exactement qui est qui. Anselm - Le bruit du temps est un film abyssal qui rejoint dans l’histoire du cinéma le fameux Mystère Picasso (1956) d’Henri-Georges Clouzot par la personnalité atypique de son créateur controversé et devenu une légende de son vivant en étant exposé dans les plus grands musées du monde. On l’y voit aux prises avec la matière, véritable démiurge domptant les éléments et créant des œuvres parfois monumentales qui constituent en soi un défi au concept même d’exposition. Wenders poursuit là une quête personnelle entreprise il y a près de quatre décennies avec Tokyo-Ga qui consiste à explorer les secrets du geste créatif en passant en revue de multiples disciplines artistiques, de la photo au cinéma, en passant par la mode, la danse, la musique et aujourd’hui la peinture et la sculpture. Au-delà de la personnalité d’Anselm Kiefer, il met en outre en perspective sa nature irrépressible de rebelle provocateur constamment en éveil qui revient régulièrement à sa création pour la parfaire voire la soumettre à d’inépuisables mutations. Une démarche infinie, au propre comme au figuré.
Jean-Philippe Guerand
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