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“Un métier sérieux” de Thomas Lilti



Film français de Thomas Lilti (2023), avec Vincent Lacoste, François Cluzet, Adèle Exarchopoulos, Louise Bourgoin, William Lebghil, Lucie Zhang, Théo Navarro-Mussy, Léo Chalié, Bouli Lanners, Hubert Myon, Jérémy Gillet… 1h41. Sortie le 13 septembre 2023.



William Lebghil et Vincent Lacoste



Quelle idée pourrait bien se figurer de notre système éducatif un spectateur du futur qui découvrirait les films qu’il inspire à jet continu au cinéma français contemporain ? La question mérite d’être posée tant elle se trouve au cœur des préoccupations d’une société confrontée à plusieurs problématiques convergentes, qu’il s’agisse de la crise des vocations qui frappe le corps enseignant, du culte de la laïcité cher à Jules Ferry ou de l’effondrement du niveau des élèves pointé du doigt par le fameux Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) qui mesure les performances des systèmes éducatifs. En abandonnant temporairement la médecine, son milieu d’origine, pour l’éducation, Thomas Lilti trouve un prolongement logique à une œuvre toute entière consacrée au poids de la vocation. Il s’attache cette fois à un établissement scolaire confronté à notre époque. Les enseignants vieillissent, tandis que les générations d’élèves se succèdent face à eux et que la crise des vocations produit ses effets. Le cinéaste adopte la forme du film choral et associe sa garde rapprochée (Vincent Lacoste, François Cluzet et William Lebghil) à Adèle Exarchopoulos, Louise Bourgoin, Lucie Zhang et Bouli Lanners, comme autant de visages de ce “métier sérieux” mais trop souvent dénigré qui mérite l’appellation contrôlée de profession de foi, tant il exige de dévouement et d’altruisme de la part de ces passeurs de savoir dont la vie personnelle est souvent imprégnée de leur sacerdoce.



Louise Bourgoin



Un métier sérieux est un authentique éloge de l’instruction publique telle que la rêvait Jules Ferry. De Profs aux Sous-doués passent le bac, la plupart des films consacrés à ce thème adoptent le point de vue des élèves, volontiers sur un ton badin voire loufoque. Thomas Lilti prend le parti des enseignants, quelque part entre Le plus beau métier du monde, Entre les murs et La vie scolaire, avec un souci de réalisme qui passe par un panel suffisamment vaste pour se révéler représentatif de cette profession que n’exercent pas que ceux qui en ont rêvé, tant il est l’aboutissement d’itinéraires de vie multiples. Il ressort de ce constat tourné tout entier vers l’humanité de ses protagonistes un état des lieux plutôt vraisemblable qui réussit la prouesse de ne pas enjoliver la situation, ni accabler le système, en juxtaposant des profils de carrière suffisamment différents pour aborder à peu près tous les cas d’école, au propre comme au figuré. Avec en prime la présence de Vincent Lacoste, interprète fétiche de Lilti révélé en collégien dans Les beaux gosses (2009) de Riad Sattouf, son autre parrain de cinéma. Ce film se regarde un peu comme on visite un appartement-témoin : c’est de la diversité qu’il met en avant que naissent son réalisme et l’esquisse de cette notion à géométrie variable qu’on appelle la pédagogie. Lilti n’ambitionne pas de réaliser un constat social sur les failles du système éducatif. Il s’attache plutôt à montrer que la qualité des élèves se met bien souvent au diapason de l’enseignement des profs et que la transmission reste la pierre angulaire de ces échanges permanents dont l’aboutissement ultime consiste à transformer des enfants en adultes en façonnant des citoyens responsables. Dès lors, seule compte la transmission.

Jean-Philippe Guerand





François Cluzet, Vincent Lacoste
Adèle Exarchopoulos et William Lebghil

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