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“The Creator” de Gareth Edwards



Film américano-britannique de Gareth Edwards (2023), avec John David Washington, Gemma Chan, Sturgill Simpson, Madeleine Yuna Voyles, Allison Janney, Ken Watanabe, Amar Chadha-Patel, Marc Menchaca, Robbie Tann, Ralph Ineson, Michael Esper, Veronica Ngo, Ian Verdun, Rad Pereira… 2h14. Sortie le 27 septembre 2023.



John David Washington



Voici un film qui tombe à pic, tant il aborde une problématique brûlante. L’action a beau se dérouler en 2065, personne ne peut être dupe. Los Angeles arbore un Ground Zero qui est la cicatrice mémorielle de la catastrophe qui l’a dévastée en lieu et place du fameux Big One dont les sismologues avaient prédit qu’il anéantirait fatalement la Californie. Loin de là, en Asie, l’intelligence artificielle a pris le pouvoir avec l’aval des autorités et menace de coloniser le reste du monde. Le destin de la planète va donc dépendre de qui assurera son hégémonie, des humains ou de l’IA. Reste à identifier leur chef, une entité mystérieuse et omnipotente. Lorsque les Américains débarquent sur le continent asiatique, un infiltré se voit directement menacé par ceux qu’il était chargé d’espionner et perd non seulement sa couverture, mais aussi la femme qu’il aime. À une époque où le cinéma de science-fiction a sacrifié sa puissance d’imagination à l’hégémonie des super-héros et des grandes sagas à but lucratif dont le réalisateur britannique Gareth Edwards a lui-même tâté avec ses deux opus précédents, Godzilla (2014) et Rogue One : A Star Wars Story (2016), The Creator témoigne d’une ambition qui trouve des échos troublants dans l’actualité récente dont on ne peut que relever l’ironie cinglante. Autre symbole, ce film particulièrement ambitieux sort au moment même où les scénaristes et les comédiens américains ont entrepris un bras de fer aux enjeux majeurs avec les Majors et les plateformes de streaming dont l’une des revendications est que les humains ne puissent pas être évincés voire remplacés par l’intelligence artificielle. Au moment où le robinet hollywoodien subit les conséquences de cette rebellion qui entraîne le report de bon nombre de sorties, faute de vedettes pour les promouvoir, The Creator donne du grain à moudre à tous ceux qui stigmatisent les effets dévastateurs de l’intelligence artificielle comme substitut immaîtrisable de ses créateurs.



Madeleine Yuna Voyles



Tout l’intérêt du film de Gareth Edwards repose sur sa capacité à s’appuyer sur un point de départ vraisemblable et en déduire des développements effrayants sinon visionnaires. Comme pour jouer de cette hypothèse afin de tirer la sonnette d’alarme et montrer qu’au-delà de ses applications purement artistiques et intellectuelles, l’intelligence artificielle peut devenir une arme léthale pour l’humanité si elle tombe entre les mains du fameux Axe du Mal devenu le croquemitaine ultime d’aujourd’hui par sa capacité de nuisance illimitée. Le fait qu’un film américain désigne nommément la menace comme asiatique est tout aussi éloquent dans le contexte géopolitique actuel. C’est même ce qui confère à The Creator tout son intérêt, au-delà de sa capacité à intégrer l’intelligence artificielle comme un poison dépourvu d’antidote. Le film affirme aussi par son titre une dimension mystique qui passe par le profil ethnique de son couple principal qui associe un homme afro-américain à une IA féminine asiatique. Avec dans le rôle principal John David Washington dont on n’a pas oublié la composition dans Tenet de Christopher Nolan. Reste à savoir maintenant quel sera l’accueil réservé par le public à ce film fourmillant d’idées, dans la mesure où il met en scène une confrontation fondamentale qui n’est pas sans évoquer aussi Avatar par son caractère prophétique assumé, la cause écologique étant remplacée ici par un autre enjeu civilisationnel majeur : l’intelligence artificielle. Dans un contexte où les superproductions hollywoodiennes semblent condamnées à voir leur sortie reportée à des temps plus favorables, The Creator pourrait bien créer la surprise en comblant une lacune de l’exploitation cinématographique en mal de superproductions spectaculaires pour concrétiser les promesses rassérénantes de Barbenheimer.

Jean-Philippe Guerand






Ken Watanabe

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