A Haunting in Venice Film américano-britannique de Kenneth Branagh (2023), avec Kenneth Branagh, Jamie Dornan, Michelle Yeoh, Tina Fey, Jude Hill, Camille Cottin, Kelly Reilly, Riccardo Scarmarcio, Kyle Allen, Ali Khan, Emma Laird, Dylan Corbett Bader, Amir El-Masry… 1h44. Sortie le 13 septembre 2023.
Riccardo Scarmarcio, Tina Fey et Kelly Reilly
Kenneth Branagh ne cesse de se battre depuis ses débuts pour obtenir la reconnaissance de ses pairs. Célébré comme un prodige de la scène, le fougueux irlandais passe au cinéma en portant à l’écran plusieurs pièces de Shakespeare déjà filmées par son grand aîné, Laurence Olivier, dont il reprendra même plus tard le rôle emblématique du Limier. Touche-à-tout brillant, il relève les défis les plus déraisonnables, va jusqu’à se frotter au film de super-héros avec Thor Ragnarok et rencontre finalement un autre personnage à sa démesure en la personne du détective Hercule Poirot qu’il met en scène et incarne, moustaches en bataille, dans deux classiques d’Agatha Christie déjà portés à l’écran dans les années 70, Le crime de l’Orient-Express (2017) et Mort sur le Nil (2022). Leur succède aujourd’hui une enquête d’une toute autre veine tirée du roman beaucoup moins réputé “La fête du potiron”, connu également sous le titre “Le crime d’Halloween”. Reclus dans un palais de la Lagune où un garde du corps est chargé de tenir à distance les importuns et autres solliciteurs, il se trouve confronté malgré lui à une ténébreuse affaire de spiritisme dans l’immédiat Après-Guerre. Par son cadre et son atmosphère fantastique, cette adaptation filandreuse évoque certaines nouvelles d’Henry James, mais aussi le spectre du film culte de Nicolas Roeg Ne vous retournez pas (1973) tiré quant à lui de la nouvelle “Ne regarde pas tout de suite” de Daphné du Maurier parue deux ans plus tôt… soit peu de temps après le roman de sa compatriote Agatha Christie.
Camille Cottin
Kenneth Branagh a beau s’essayer à tous les genres, il n’est pas de ces metteurs en scène volages qui ne font qu’un tour et puis passent à autre chose en considérant en avoir terminé. Le livre d’Agatha Christie dont s’inspire Mystère à Venise n’est en outre ni son plus connu ni son plus abouti. Sans doute l’a-t-il attiré par son décor enchanteur propice à tous les fantasmes, avec en contrepoint une époque plutôt sombre. Le film assume son côté crépusculaire et une noirceur qui cadre avec la pourriture des canaux et les épidémies qu’ils propagent sous le romantisme de leurs gondoles. Son sujet et le rôle prépondérant joué par les enfants renvoient par ailleurs aux cicatrices de la guerre et à la convalescence douloureuse d’une Italie qui a changé de camp en plein conflit et prospère sur cette ambiguïté. Il s’appuie en outre en parallèle sur deux interprétations culturelles bien différentes d’un même événement : la Toussaint. Aux rites religieux ancestraux de l’Italie catholique répond la célébration d’Halloween par des gamins imaginatifs dont on sait combien le cinéma d’horreur anglo-saxon l’a exploitée. Branagh se tire tant bien que mal de ce fatras parfois confus et réussit davantage à jouer sur son atmosphère que sur une intrigue dont la logique est alourdie par l’occultisme. Certes, la mise en scène met les petits plats dans les grands et joue de toutes ses composantes, des flous artistiques à la musique suggestive. Reste qu’on est en droit de préférer la sincérité de Belfast, l’œuvre la plus personnelle à ce jour d’un cinéaste qui rechigne à user du cinéma pour se livrer, au point de se cacher derrière des films de commande qui ne servent que sa virtuosité, bien que celle-ci tourne parfois à vide et mériterait de s‘appliquer à de plus nobles prétextes.
Jean-Philippe Guerand
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