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“L’été dernier” de Catherine Breillat



Film français de Catherine Breillat (2023), avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin, Clotilde Courau, Angela Chen, Serena Hu… 1h44. Sortie le 13 septembre 2023.



Léa Drucker



Le nom de Catherine Breillat est lié à maintes œuvres sulfureuses, mais aussi à une existence rocambolesque ponctuée de tragédies intimes qui ont sans doute contribué à la rendre plus forte et à nourrir son inspiration. Considérée à juste titre comme l’une des pionnières du cinéma au féminin, elle a su renaître de ses cendres à plusieurs reprises, sans jamais baisser les bras. Toujours avec cette résilience devenue chez elle une seconde nature. Au moment où sa sœur aînée Marie-Hélène Breillat devient la muse d’Édouard Molinaro et immortalise le personnage de Claudine à la télévision, sa cadette écrit des ouvrages licencieux et des scénarios pour Maurice Pialat. Victime d’une hémorragie cérébrale qui la laisse hémiplégique en 2005, elle tombe sous l’emprise de l’aventurier Christophe Rocancourt, mais tire de cet abus de faiblesse caractérisé un livre puis un film. Loin d’être anéantie par ces tragédies successives, elle témoigne de sa force de caractère peu commune en signant aujourd’hui avec L’été dernier un remake du film danois de May El-Thoukhy Queen of Hearts (2019) qui brasse bon nombre de ses préoccupations. Léa Drucker y incarne une avocate qui voit son équilibre personnel et professionnel s’effondrer lorsque le fils que son mari a eu d’une précédente union entreprend de la séduire par pure perversité. Un sujet sulfureux qui inspire à la réalisatrice un film plutôt sage sur la confusion des sentiments, dans le contexte d’une bourgeoisie dont elle est issue, mais pour laquelle elle n’éprouve que bien peu de sollicitude.



Samuel Kircher et Léa Drucker



Vénérée par une partie de la critique, mais au fond assez peu connue du grand public, faute d’un succès populaire vraiment marquant, Catherine Breillat a fait l’objet de plusieurs ouvrages qui traitent d’elle comme d’une personnalité de référence pour toutes les autres femmes cinéastes par sa détermination à rester en marge de tous les mouvements et à fourbir ses propres armes. L’été dernier illustre cette volonté d’indépendance à travers un sujet qui aurait pu donner lieu tout aussi bien à une comédie comme Un moment d’égarement et ses remakes où à un mélodrame à la façon de Mourir d’aimer ou du Souffle au cœur, sous l’influence d’un interdit tenace devenu aujourd’hui un tabou infranchissable. La réalisatrice préfère traiter cette histoire à la manière du Pier Paolo Pasolini de Théorème. En étudiant méticuleusement le pouvoir de nuisance d’un chien fou déconnecté des règles élémentaires de la vie en société sur un couple englué dans sa routine conjugale pour lequel il joue le rôle d’un agent perturbateur. Celui par qui le scandale arrive est campé par Samuel Kircher dont le frère Paul s’est fait remarquer dans Le lycéen de Christophe Honoré. Avec en commun chez les deux fils prodigues d’Irène Jacob et Jérôme Kircher une capacité déconcertante à dévier en permanence de leur trajectoire pour s’approprier des personnages auto-destructeurs.



Léa Drucker, Samuel Kircher et Olivier Rabourdin



Les hommes mûrs entichés de jeunes filles, le cinéma post-soixante-huitard en a fait son miel. Le postulat inverse reste quant à lui encore exceptionnel. Comme s’il avait fallu attendre l’avènement des femmes aux commandes pour voir des adolescents assouvir leurs fantasmes et bouleverser les conventions, parfois par pure transgression œdipienne. À travers ce sujet, Catherine Breillat aborde une caractéristique physiologique qui la concerne mais qu’elle assume sans tricher : le vieillissement. Le personnage incarné par Léa Drucker ne court pas vraiment les écrans. Il constitue même en quelque sorte le Triangle des Bermudes du cinéma et se traduit dans les carrières des plus grandes actrices par cette pénurie de rôles qu’on qualifie par euphémisme de traversée du désert. Il est d’autant plus intéressant que ce personnage guetté par la ménopause soit incarné par une interprète discrète dont la notoriété plutôt tardive et le César de la meilleure actrice sont dus à un film consacré aux violences conjugales, Jusqu’à la garde de Xavier Legrand. Une femme qui s’est frottée aux choses de la vie avant d’être reconnue par ses airs à cet âge comme prohibé des écrans. C’est sans doute parce que son cheminement n’est pas celui de ses consœurs qu’elle est l’interprète idéale de L’été dernier et a si joliment inspiré Catherine Breillat. Mais qu’on ne s’illusionne pas : ici, c’est une fois plus le mâle qui domine, aussi jeune soit-il. Sans doute fallait-il une réalisatrice pour le mettre en évidence avec une telle subtilité. Comme la conséquence ultime de l’éclatement de la cellule familiale et de la perte de nos repères moraux les plus élémentaires.

Jean-Philippe Guerand







Léa Drucker

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