Film franco-suisse de Philippe Garrel (2023), avec Louis Garrel, Damien Mongin, Esther Garrel, Léna Garrel, Francine Bergé, Aurélien Recoing, Mathilde Weil, Asma Messaoudene… 1h35. Sortie le 13 septembre 2023.
Louis Garrel et Francine Bergé
Associé dès ses débuts à Jean-Luc Godard période Mao, Philippe Garrel a accompli le parcours inverse de son mentor en épurant son art jusqu’à l’ascèse au contact de coscénaristes épris de romanesques tels que Marc Cholodenko, Arlette Langmann et Jean-Claude Carrière qui a également collaboré avec son fils Louis. Le grand chariot constitue une sorte d’aboutissement qui lui a valu l’Ours d’argent de la mise en scène à la dernière Berlinale et marque son retour à la couleur après quatre opus en noir et blanc, à travers la saga impressionniste d’une troupe familiale de marionnettistes que fabrique la grand-mère et que manipulent son fils et ses trois petits-enfants incarnés par Louis, Esther et Léna Garrel. Cette variation moderne autour de l’esprit de troupe du Capitaine Fracasse dont les protagonistes tirent symboliquement les ficelles, semblables à des dieux dérisoires, arbore les stigmates d’une œuvre testamentaire à laquelle manque toutefois une pièce maîtresse : le propre père du cinéaste, l’acteur Maurice Garrel décédé en 2011 qu’il a dirigé à de multiples reprises. Avec en prime une mise en scène dépourvue de digressions inutiles qui démontre combien le réalisateur de 75 ans a gagné en sérénité au point de se livrer un tout petit peu plus qu’à son habitude, mais toujours avec une délicatesse étudiée.
Damien Mongin et Léna Garrel
Cette élégante comédie de caractères se distingue par son élégance et la pudeur des sentiments qui s’y expriment quand l’une des figures de ce portrait de famille disparaît en menaçant son équilibre. Comme un prélude à la fin d’un monde en voie de disparition : celui de ces baladins itinérants qui procurent bien souvent à leurs jeunes spectateurs leurs premières émotions en les interpelant. La nostalgie qui se dégage de ce film sobre mais intense témoigne de la sincérité d’un artiste parvenu aujourd’hui au comble de l’épure en se délestant de tous ses artifices antérieurs. Aux antipodes de l’audace ostentatoire et parfois poseuse qu’il manifestait à ses débuts, lui qui a signé adolescent son premier court métrage, Les enfants désaccordés (1964), dont le titre reflète un changement total de paradigme à six décennies de distance. Philippe Garrel apparaît en cela comme l’ultime épigone de la Nouvelle Vague. Un enfant terrible qui a débuté sous la protection de Jean-Luc Godard et atteint aujourd’hui au classicisme de François Truffaut, dans la plus improbable des réconciliations post mortem entre ces frères ennemis. À l’image de certains artistes, le réalisateur va désormais droit à l’essentiel. Peut-être parce qu’il se demande combien de films il lui reste à tourner et ressent le besoin d’aller droit à l’essentiel sans tricher. Cette famille de marionnettistes lui en donne une occasion élégante, en réunissant au chevet de cette histoire simple ses trois enfants acteurs. Une façon comme une autre de mêler l’utile à l’agréable en ajoutant une page en mouvement à son album de famille et en célébrant une tradition en voie de disparition avec une tendresse qui témoigne de son implication intime dans cette chronique.
Jean-Philippe Guerand
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