Roter Himmel Film allemand de Christian Petzold (2023), avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel, Enno Trebs, Matthias Brandt, Esther Esche, Jenny Antoni, Jonas Dassler… 1h42. Sortie le 6 septembre 2023.
Thomas Schubert et Paula Beer
Si, comme l’affirmait François Truffaut, « le cinéma est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes », le réalisateur allemand Christian Petzold figure assurément parmi ses dignes héritiers. Chez lui, ces dames portent la culotte, à l’instar de sa muse, Nina Hoss, qu’il a élevée au rang de star internationale après l’avoir dirigée à pas moins de six reprises, du téléfilm Dangereuses rencontres (2001) à Phœnix (2014). Il l’a remplacée depuis Transit (2018) par Paula Beer à qui Ondine a valu l’Ours d’argent de la meilleure actrice lors de la Berlinale 2020. On retrouve l’actrice révélée par François Ozon dans Frantz (2016) à l’affiche de son nouvel opus, Le ciel rouge, confrontée à trois partenaires masculins, le temps d’un été au bord de la mer Baltique en proie aux feux de forêt. Petzold lui confie le rôle-clé de celle par qui le trouble arrive, mais adopte le point de vue d’un jeune homme plutôt mal dans sa peau qui va observer le rituel de la séduction sans oser s’y impliquer, pour la découvrir en couple avec un rival plus âgé. Le réalisateur porte un regard désabusé sur les jeux de l’amour, mais se révèle beaucoup moins à son aise lorsqu’il s’agit de décaler sa focale vers ce personnage masculin incapable d’assumer ses sentiments et sans doute même de les interpréter pour ce qu’ils sont.
Thomas Schubert
Le ciel rouge perpétue une longue tradition de films d’auteur où les protagonistes s’acharnent à disserter à propos de l’état du monde en exprimant des considérations existentielles parfois pompeuses, pour mieux dissimuler leurs sentiments les plus intimes à leurs interlocuteurs. Jusqu’au moment où ils se voient rattrapés par la réalité, en l’occurrence ici le dérèglement climatique dont les incendies constituent une manifestation parmi tant d’autres. Christian Petzold exprime la très haute conception qu’il se fait du cinéma en accordant une place prépondérante au dialogue. Un parti pris déjà affirmé dans ses premiers films, quand il cherchait encore son style. L’intrigue circonscrite pour l’essentiel entre une maison et son jardin se déroule comme hors du monde et s’attache à ces longs palabres dont aiment à s’enivrer les intellectuels quand ils se retrouvent en vase clos, surtout dans la douceur trompeuse de l'été. Au point de se détacher de la réalité objective et de privilégier les mots aux actes en tirant parfois des plans sur la comète. Comme si Petzold voulait nous mettre en garde contre cette attitude dictée par la vanité et montrer ainsi combien elle peut empêcher parfois d’aller au bout de ses sentiments. Quitte à passer à côté de l’essentiel : la vie. Un propos d’une folle ambition qui ne trouve sa pleine signification que lorsque s’achève cette longue loghorrée et que les faits reprennent enfin leur ascendant sur les idées. Tel est le prix à payer pour apprécier la radicalité délibérée de ce film bavard jusqu’à l’ivresse sur l’impossibilité d’un amour. Avec les illusions perdues qui l'accompagnent à l'âge dit des possibles.
Jean-Philippe Guerand
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