Film franco-belge de Guillaume Nicloux (2023), avec Fabrice Luchini, Mara Taquin, Maud Wyler, Juliette Metten, Veerle Baetens, Lucas Van Den Eynde, Viv Van Dingenen, Sandrine Dumas, Aurélia Thierrée, Anne Consigny… 1h33. Sortie le 20 septembre 2023.
Fabrice Luchini
Bien malin qui pourrait suivre l’itinéraire de Guillaume Nicloux, cinéaste qui ne cesse de passer d’un film à l’autre avec un art consommé du brouillage de pistes. En février 2023 sortait l’une de ses œuvres les plus sombres, La tour, alors même qu’il tournait aux Antilles une comédie intitulée Dans la peau de Blanche Houellebecq. La petite relève d’une troisième veine. C’est pour lui l’occasion de diriger une nature comme il les aime, Fabrice Luchini dans le rôle d’un septuagénaire subitement terrassé par la mort accidentelle de son fils et de son compagnon. Or, ceux-ci s’étaient entendus préalablement avec une mère porteuse qui s’apprête à mettre au monde leur enfant en Belgique, sans qu’il soit pour autant évident de savoir si notre homme peut légalement faire valoir ses droits en tant que grand-père putatif. Le scénario de ce film traité sur le registre de la comédie sentimentale développe une intrigue cornélienne qui s’inscrit délibérément dans l’air du temps. Il est tiré du “Berceau” de Fanny Chesnel dont le premier roman “Une jeune fille aux cheveux blancs” avait déjà inspiré à Marion Vernoux Les beaux jours (2013). Son histoire a le mérite de pousser jusqu’à son terme un point de départ crédible sinon banal, en s’inscrivant dans un contexte sociologique parfaitement vraisemblable. C’est pour Nicloux l’occasion de suivre le précepte de Georges Perec dans son ouvrage “Tentative d’épuisement d’un lieu parisien” qui consiste à partir d’une situation et à en exploiter les multiples ramifications jusqu’à l’absurde, ce qui représente en soi un véritable défi narratif.
Mara Taquin et Fabrice Luchini
La petite (rien à voir avec le film homonyme de Louis Malle sorti en 1978) mise sur la rencontre de Fabrice Luchini avec son époque, quelques mois seulement après Un homme heureux de Tristan Séguéla dans lequel il campait un maire en quête de réélection confronté à la soudaine décision de son épouse d’accomplir sa transition. Comme si l’acteur souvent fantasque évoquait spontanément par sa mise impeccable une rigueur et une autorité qui lui collent à la peau. C’est également cette veine qu’exploite Guillaume Nicloux, sans jamais verser pour autant dans les fameux travers de la comédie franchouillarde. Il réussit à ne jamais céder à la facilité et à tirer cette histoire vers l’émotion en évitant les effets faciles. Il confronte à cet effet divers points de vue et recrute des interprètes qui privilégient l’humanité sur l’humour ou le pathos, de Maud Wyler à Veerle Baetens, jusqu’aux fugitives apparitions des trop rares Sandrine Dumas et Anne Consigny. C’est en cela que le metteur en scène circonscrit son territoire et manifeste des qualités de directeur d’acteurs qui ont déjà fait merveille par le passé face à des personnalités comme Josiane Balasko, Isabelle Huppert, Jean-Pierre Darroussin ou Gérard Depardieu, le plus souvent sur la corde raide des sentiments et parfois avec une radicalité assumée. La petite détonne en cela avec la production classique et pose de multiples questions de société sans y répondre pour autant par des lieux communs ou des rebondissements artificiels. C’est aussi un film qui mise sur le pur plaisir d’admirer un grand fauve aux prises avec une vaste gamme de sentiments et sortir pour cela de sa zone de confort sans jamais céder à la tentation du cabotinage.
Jean-Philippe Guerand
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