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“La merveilleuse histoire de Henry Sugar”, “Le cygne”, “Le preneur de rats ” et “Venin” de Wes Anderson



La merveilleuse histoire de Henry Sugar (The Wonderful Story of Henry Sugar) Court métrage américain de Wes Anderson (2023), avec Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Ben Kingsley, Dev Patel, Richard Ayoade, Rupert Friend… 37 mn. Mise en ligne sur Netflix le 27 septembre 2023.


Le cygne (The Swan) Court métrage américain de Wes Anderson (2023), avec Ralph Fiennes, Rupert Friend, Asa Jennings, Eliel Ford, Truman Hanks, Benoît Herlin, Octavio Tapia… 17 mn. Mise en ligne sur Netflix le 28 septembre 2023.


Le preneur de rats (The Ratcatcher) Court métrage américain de Wes Anderson (2023), avec Rupert Friend, Ralph Fiennes, Richard Ayoade… 17 mn. Mise en ligne sur Netflix le 29 septembre 2023.


Venin (Poison) Court métrage américain de Wes Anderson (2023), avec Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Ben Kingsley, Dev Patel… 17 mn. Mise en ligne sur Netflix le 30 septembre 2023.



Benedict Cumberbatch et Ben Kingsley



Il y a des rencontres qui s’imposent par leur évidence. Celle du dandy américain Wes Anderson avec l’écrivain britannique Roald Dahl en fait assurément partie. L’univers visionnaire du novelliste constitue en effet une invitation au rêve qui a stimulé avec des fortunes diverses des cinéastes de la trempe de Nicolas Roeg dans Les sorcières (1990), Henry Selick avec le film d’animation James et la pêche géante (1996), Tim Burton dans Charlie et la chocolaterie (2005), et même Steven Spielberg avec Le BGG : Le Bon Gros Géant (2016). Après avoir emprunté le chemin de l’animation pour l’adapter dans Fantastic Mr Fox (2009), Anderson porte aujourd’hui à l’écran quatre nouvelles qui explorent autant de rivages inexplorés de son propre imaginaire. Celle qui donne son titre à cette anthologie, La merveilleuse histoire de Henry Sugar, s’attache au pouvoir mystérieux d’un gourou hindou aveugle doué d’un don de double vue. Une capacité irrationnelle dont il commence par user dans un spectacle de lévitation avant de rencontrer un riche dépourvu de scrupules qui le prend sous sa coupe pour accroître sa fortune dans une soif de profit aussi inextinguible qu’irrationnelle, en écumant les tables de jeux des casinos.



Benedict Cumberbatch et Ben Kingsley



Un prétexte en or pour Anderson qui y trouve maintes occasions de jouer lui-même les illusionnistes en procédant à un double flash-back et en escamotant les décors au fil du récit, au gré d’une mise en scène qui s’appuie sur des mouvements de caméra d’une grande fluidité. Avec pour corollaire à ce jeu qui déploie les grands moyens du cinéma le remplacement avantageux des effets spéciaux par des techniques primitives qui doivent autant au magicien Robert Houdin qu’au pionnier du septième art Georges Méliès et évoquent certaines cartes de vœux sophistiquées. Autre caractéristique de ce petit film qui vaut bien des grands : ses interprètes figurent parmi la crème de l’école britannique, de Ben Kingsley en gourou indien à Benedict Cumberbatch dans le rôle du fameux Henry Sugar, Raph Fiennes dans celui du narrateur Roald Dahl et le tandem Dev Patel-Richard Ayoade en chirurgiens. Il interchange par ailleurs ces acteurs de composition au fil des occasions que leur offrent ces quatre courts métrages débordants d’imagination et de trouvailles visuelles..



Le cygne de Wes Anderson



Il convient de saluer ici l’intelligence avec laquelle Wes Anderson met sa virtuosité coutumière au service de prétextes narratifs de consistances inégales. Habitué à passer du coq à l’âne et rompu à l’art du sketch qu’il avait porté à une sorte de pinacle en virevoltant d’un style à l’autre dans The French Dispatch (2021), sous couvert d’illustrer divers articles d’une revue très snob, il trouve parmi la prose fourmillante et bourrée d’imagination de Dahl des prétextes idéaux pour manifester sa virtuosité. À cette nuance près qu’il transforme simultanément en avantage l’un de ses points faibles coutumiers, le langage verbal, un atout maître servi en outre par des experts en la matière qui ne parlent pas vraiment pour ne rien dire et s’en tiennent scrupuleusement à la prose évocatrice de Roald Dahl. Cette logorrhée va constamment de pair avec des trouvailles visuelles ininterrompues et font de ce quatuor de courts métrages l’un des sommets de son œuvre, par ailleurs de nature à séduire celles et ceux qui se considèrent allergiques à ce cinéma où le paraître a trop souvent pris l’ascendant sur l’être, en réduisant parfois ses personnages au statut de marionnettes désincarnées, alors même qu’ils étaient le plus souvent campés par des vedettes venues se montrer comme dans un défilé branché.



“Le preneur de rats” de Wes Anderson



Au point que Le cygne aborde bel et bien un sujet de société brûlant, le harcèlement, au rang d’un conte d’Andersen. Dans Le preneur de rats, il décrit en détails parfois elliptiques un rituel macabre de destruction de rongeurs trop sophistiqué pour fonctionner de manière fiable. Venin revendique le statut inattendu de thriller à travers le destin d’un homme cloué dans un lit où s’est introduit un serpent aussi redoutable que minuscule que son entourage va devoir éliminer pour l’empêcher de nuire… sans le voir. L’occasion pour Anderson de suggérer plutôt que montrer à partir d’un prétexte minimaliste qui avait déjà inspiré l’un des épisodes les plus mémorables de la série télévisée “Alfred Hitchcock présente…” au maître du suspense en personne en 1958. Cette anthologie dévoilée en avant-première à la dernière Mostra de Venise figure parmi les réussites les plus éclatantes de Wes Anderson qui n’a en fait besoin que d’une matière dramaturgique solide et d’interprètes inspirés pour pouvoir donner le meilleur de lui-même. Et c’est assurément le cas dans La merveilleuse histoire de Henry Sugar et ces trois autres sketches à savourer sans modération pour goûter à sa virtuosité de magicien du septième art.

Jean-Philippe Guerand







Benedict Cumberbatch

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