Documentaire français d’Yves-Marie Mahé (2022), avec Philippe Garrel, Chantal Akerman, Bernadette Lafont, Leos Carax, Werner Schroeter, Maurice Périsset… 1h14. Sortie le 27 septembre 2023.
À trop asseoir exclusivement l’histoire du cinéma sur les films et ceux qui les réalisent, on en arrive à minimiser le rôle joué par les festivals en tant que chambres d’écho, sinon la sainte trinité Cannes-Venise-Berlin. Yves-Marie Mahé évoque dans Jeune cinéma une manifestation éphémère dont l’épicentre se trouvait dans le Var. Là, de 1965 à 1971 puis de 1977 à 1983 à Hyères et dans l’intervalle à Toulon, des aficionados ont célébré une alternative au cinéma dominant à travers de jeunes auteurs en devenir dont certains ont fini par être reconnus sur le plan international. La particularité de cette célébration posthume est de souligner à quatre décennies de distance le rôle joué par cet événement en ayant recours à des images d’archives télévisuelles et radiophoniques, puisées pour l’essentiel dans les trésors de l’Institut National de l’Audiovisuel (Ina), mais aussi des documents amateurs et des extraits d’émissions qui nous immergent en plein cœur de cet incubateur de talents, qu’il s’agisse de discussions avec des cinéastes pour la plupart engagés ou des réactions spontanées d’un public venu là pour communier à des gestes artistiques parfois extrêmes, mais le plus souvent audacieux. Avec en miroir des extraits de films présentés à Hyères qui en montrent la teneur. Une ère de liberté et d’insouciance qui a annoncé la révolution culturelle de 1968 avant d’en perpétuer les enseignements avec une curiosité renouvelée. Jeune cinéma n’analyse cette histoire qu’en la confrontant à des images d’époque, jamais en demandant à des historiens de la commenter a posteriori. Un parti pris intellectuel qui produit un effet accru de réalité.
Bernadette Lafont et Philippe Garrel
Spécialiste de la contre-culture passionné par les archives, mais aussi activiste, programmateur de festivals et documentariste pour la radio, Yves-Marie Mahé assume lui-même ce qu’il doit à ces défricheurs qui se sont battus pour imposer le concept d’un cinéma indépendant parfois aux lisières de l’expérimental. En ressuscitant cette grand-messe qui a précédé puis prolongé la période estivale au gré de ses éditions, dans une atmosphère à la fois conviviale et particulièrement informelle, il témoigne du vent de liberté qui soufflait en bordure de la Méditerranée et crevait l’écran de quelques nuits blanches. Soutenu par quelques figures de la Nouvelle Vague comme Claude Chabrol et Bernadette Lafont, la manifestation célèbre des talents aussi divers que Jean Eustache, André Delvaux, Jean-Daniel Pollet, Luc Moullet, Philippe Garrel, Guy Gilles, Chantal Akerman, Marguerite Duras (qui dénonçait avec virulence en 1981 le “cinéma de grande surface, le cinéma pourri”), Werner Schroeter ou Leos Carax, dans des sections aux noms évocateurs : Cinéma d’aujourd’hui, Cinéma de demain, Cinéma différent… Jeune cinéma est la chronique d’une utopie qui a duré et servi de terreau à des talents en devenir, tout en offrant une agora bouillonnante à celles et ceux qui souhaitaient abattre les murs du cinéma traditionnel en proposant des regards différents. Le lauréat était en outre assuré de bénéficier d’une programmation minimum de trois semaines dans une salle parisienne, ce qui constituait sans doute la plus précieuse des récompenses. Voici un aspect injustement oublié de l’histoire du cinéma moderne ressuscité avec talent. Comme les fragments épars d’une utopie qui a essaimé et suscité des vocations dans l’euphorie post-soixante-huitarde. Attention, cependant, ce témoignage précieux n'est programmé que dans deux salles en France.
Jean-Philippe Guerand
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