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“Club Zero” de Jessica Hausner



Film austro-germano-franco-britanno-danois de Jessica Hausner (2023), avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Elsa Zylberstein, Mathieu Demy, Amir El-Masry, Camilla Rutherford, Amanda Lawrence, Sam Hoare, Keeley Forsyth, Lukas Turtur, Szandra Asztalos, Florence Baker, Gwen Currant, Ksenia Devriendt… 1h50. Sortie le 27 septembre 2023.



Gwen Currant et Ksenia Devriendt



On ne pénètre pas par effraction dans le cinéma de Jessica Hausner. C’est fil à fil que cette réalisatrice autrichienne a tissé sa toile, chacun de ses longs métrages (six depuis l’an 2000) étant comme la nouvelle marche d’un escalier en colimaçon vertigineux qu’il convient de gravir avec prudence, non seulement de crainte de trébucher, mais aussi parce que l’inattendu peut y surgir à tout instant. Cette précaution posée, la cinéaste a ceci de commun avec ses deux compatriotes les plus célèbres, Michael Haneke dont elle a été la scripte sur Funny Games (1997) et Ulrich Seidl, de ne jamais peindre la vie en rose. Peut-être parce que le passé de l’Autriche jamais dénazifiée ne prête pas particulièrement à l’insouciance parmi ses artistes. Club Zero en constitue une sorte de microcosme qu’elle observe au microscope. Les élèves d’un lycée privé y tombent sous la coupe d’une nutritionniste qui rallie rapidement la plupart d’entre eux à sa cause. Au grand dam des familles affolées de voir leur progéniture dépérir et tenir des propos nihilistes sinon incohérents. Au-delà de son thème proprement dit, les nouvelles doctrines alimentaires et la folie des régimes minceur, Club Zero traite aussi de ces gourous modernes qui exercent leur autorité sous les prétextes les plus vains, en usant et abusant des réseaux sociaux et des canaux publicitaires, quitte à engendrer des contre-pouvoirs alternatifs de nature à propager des théories d’autant plus pernicieuses qu’elles ne reposent bien souvent que sur un effet de groupe.



Sidse Babett Knudsen



Jessica Hausner est une virtuose de l’humour à froid qui a le chic pour railler les phénomènes de mode et l’esprit grégaire qu’ils suscitent. C’est dans Club Zero pour railler le conformisme bourgeois qu’incarnent les parents dépassés par le comportement de leur progéniture sous l’influence d’une enseignante qui leur donne l’illusion d’être des leurs et se comporte en fait comme une vulgaire influenceuse sous couvert d’un prétexte pédagogique à l’insu d’une hiérarchie qui ignore tout du contenu subversif de son programme. C’est l’occasion pour la réalisatrice de dénoncer la folie ambiante qui entoure la nutrition et met en danger ceux qui s’adonnent à ces régimes minceur qui mènent parfois au suicide en passant par la case anorexie. Sa jubilation atteint son comble quand les familles se trouvent confrontées au comportement de leurs enfants sans oser s’y opposer, de peur de couper les ponts définitivement avec eux, à l’instar du couple désopilant formé par Elsa Zylberstein et Mathieu Demy, heurté dans son snobisme par le spectacle lamentable que leur offre leur fille à l’heure du repas. Club Zero constitue en quelque sorte l’exact opposé de La grande bouffe de Marco Ferreri à un demi-siècle de distance, la plénitude des sens ayant cédé la place à un calvaire nutritionnel qui a toutefois le même objectif suprême : la mort. On peut en rire… mais on n’est pas obligé. D’où l’impression de malaise qui s’instaure parmi les spectateurs inégalement préparés à un spectacle aussi subversif que sardonique. Un carton préliminaire avertit d’ailleurs au générique de début que certaines scènes peuvent choquer les spectateurs en proie à des troubles alimentaires. Et ce n’est pas un vain mot.

Jean-Philippe Guerand





Mia Wasikowska (à gauche)

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