Film français de Nicolas Silhol (2023), avec Louise Bourgoin, Samy Belkessa, Sâm Mirhosseini, Kahina Lahoucine, Arthur Choisnet, Agnès Sourdillon, Ike Ortiz, Adèle Wismes, Antoine Gouy, Violaine Fumeau… 1h35. Sortie le 6 septembre 2023.
Louise Bourgoin
Un monde parfait et une civilisation digne de ce nom assureraient à tout le monde un toit au-dessus de la tête. Dans la France de ce début de troisième millénaire, des agents immobiliers soucieux de protéger leurs biens avant de les mettre sur le marché y hébergent des sans-abri et des précaires dont la présence assurera une protection à moindre coût contre des squatteurs éventuels susceptibles de porter atteinte à l’intégrité des lieux. Une mère célibataire engagée pour défendre les intérêts de ces bailleurs d’un nouveau genre devient malgré elle la complice de ces marchands de sommeil qui imposent à leurs hôtes en liberté surveillée un règlement intérieur où tout est prohibé. D’un phénomène sociologique établi, la crise du logement qui rend les centres-villes hors de prix, Nicolas Silhol tire une fable cruelle qui entretient une confusion délibérée entre réalité et fiction, sinon science-fiction. Dans cette cruelle uchronie fondée sur une mesure expérimentée à Amsterdam dans les années 80, puis importée en France en 2009, les plus vulnérables deviennent malgré eux de véritables boucliers humains pour préserver des intérêts immobiliers qui ne sont pas les leurs, leur hébergement éphémère et résiliable sans préavis étant régi par des conditions drastiques qui abusent de leur précarité. Une offre alternative à l’hébergement d’urgence par l’utilisation de locaux inoccupés qui autorise les propriétaires à confier leurs biens vacants à des organismes publics ou privés afin d’y loger ces résidents temporaires.
Samy Belkessa et Louise Bourgoin
Promulguée seulement en juin dernier par le Sénat et l’Assemblée nationale, la loi Anti-Squat a durci les sanctions liées aux squats de locaux et pérennisé l’expérimentation de système locatif qui a inspiré le film de Nicolas Silhol. Celui-ci s’inscrit donc dans un contexte parfaitement réaliste et adopte le regard du personnage incarné par la toujours impeccable Louise Bourgoin dans le rôle d’une femme fragilisée qui accepte de servir les intérêts d’une officine chargée de protéger des bureaux des squatteurs en y logeant des locataires précaires soumis à des conditions drastiques. Quitte à devenir malgré elle un bras armé du système dont elle a été elle-même victime. Anti-Squat est une fable cynique et désabusée autour d’un phénomène de société bien réel qui pousse jusqu’à l’absurde une situation d’autant plus vraisemblable qu’elle s’appuie sur un état de fait authentique. Une sorte de revival du classique de Francesco Rosi Main basse sur la ville, à soixante ans de distance, où la crise du logement engendre une situation d’une pure absurdité. La meilleure idée du film consiste à se dérouler dans un cadre urbain déshumanisé qui évoque en quelque sorte celui d’une citadelle assiégée. Le réalisateur creuse là un sillon qui affleurait déjà de son premier long métrage, Corporate (2017) consacré au malaise au travail appliqué au management impitoyable d’une entreprise agro-alimentaire. Il choisit par ailleurs pour anti-héroïne une jeune femme vulnérable qui devient malgré elle la complice des marchands de sommeil dont elle a été la victime. Ce polar avec cause s’avère terrifiant sur ce qu’il dit de la déliquescence galopante engendrée par le libéralisme sans frein. À voir et à méditer…
Jean-Philippe Guerand
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