Film français de Quentin Dupieux (2023), avec Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmaï, Sébastien Chassagne, Agnès Hurstel, Jean-Paul Solal, Laurent Nicolas, Mustapha Abourachid, Sava Lolov, Charlotte Laemmel, Franck Lebreton, Agathe L’Huillier, Caroline Piette, Loelia Salvador, Lucie Gallo, Stéphane Pezerat… 1h07. Sortie le 2 août 2023.
Raphaël Quenard
Quentin Dupieux a ceci de particulier qu’il n’est jamais tout à fait là où on l’attend. Au point d’ajouter à son carnet de bal un film, là où l’on en attendait un autre : le très intrigant Daaaaaali ! (sélectionné à la Mostra de Venise) qui réunit Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche et Édouard Baer. Ainsi apparaît en plein cœur de l’été un impromptu qu’on qualifiera de laconique et qui rejoint par son dispositif l’un de ses plus beaux succès publics, Au poste !, sorti au cours de l’été 2018, qui durait soixante-et-onze minutes là où Yannick en nécessite quatre de moins. Deux films qui s’appuient sur une mise en perspective du théâtre. En l’occurrence, cette fois, deux hommes et une femme interprètent un pièce intitulée “Le cocu” devant une assistance clairsemée. Jusqu’au moment où un spectateur se lève et interpelle les comédiens en leur reprochant la médiocrité du spectacle et en leur demandant de faire venir sur scène l’auteur. Quand il découvre que celui-ci est absent, le ton monte et ce quidam qui se dit gardien de nuit dans un parking reproche aux acteurs sidérés le soir de congé qu’il a demandé et le temps qu’il a passé dans les transports pour assister à un spectacle aussi pathétique. Ainsi commence une soirée riche en rebondissements qui donne l’occasion à Dupieux de confronter ces artistes à leur public en provoquant l’effondrement du sacro-saint quatrième mur, non pas à l’initiative de la scène comme c’est parfois le cas, mais depuis l’assistance pourtant condamnée par principe à une certaine passivité sinon au recueillement.
Pio Marmaï, Blanche Gardin
Sébastien Chassagne et Raphaël Quenard
Le cinéaste qui a contribué à engager la comédie hexagonale dans de nouvelles voies, quitte à flirter parfois avec le nonsense sinon le surréalisme autorise ici les spectateurs à briser un tabou en se permettant de demander des comptes à ceux dont la mission consiste à les distraire. Or, c’est là où le bât blesse, car cette histoire d’adultère autour d’un frigo s’avère aussi banale que consternante, les acteurs ânonnant un texte qui ne brille pas vraiment par son originalité ou son style, quitte à répéter certaines répliques pour combler leur vide abyssal. Yannick marque une nouvelle tentative de Quentin Dupieux pour transcender un tabou en se positionnant par rapport à la critique, art ingrat pour lequel son protagoniste se déclare incompétent, en se contentant de juger ce qu’il voit et entend, sans en avoir ni pour son argent ni surtout pour son temps de transport et le congé qu’il a dû solliciter. Le réalisateur montre là qu’il se fait une haute idée de son rôle d’amuseur et de sa responsabilité vis-à-vis d’un public qui a le droit de manifester une certaine exigence, même s’il n’est pas encouragé à exprimer son avis publiquement. Dans cette confusion des rôles impartis à chacun, le spectateur courroucé entreprend d’écrire lui-même à brûle-pourpoint trois rôles de sa composition, quitte à s’attirer l’ire de la comédienne à qui sa coquetterie interdit d’interpréter une scène d’hôpital… dans un décor de cuisine.
Pio Marmaï et Raphaël Quenard
Ce qui commence comme une comédie se poursuit dans les règles d’une prise d’otages baroque, sous la houlette d’un délinquant improvisé dont les véritables motivations resteront inexpliquées, sinon par la haute idée qu’il semble se faire du théâtre en tant que spectateur et du pouvoir de distraction qui lui est imparti. Un point de vue d’autant plus passionnant qu’il émane d’un anonyme arc-bouté sur l’exigence d’une certaine conscience professionnelle. Pour lui comme pour ceux dont la mission consiste à distraire les autres. En filigrane, cette réflexion sur le rôle des amuseurs publics soulève des questions passionnantes que tous les gens de spectacle devraient se poser pour peu qu’ils daignent descendre de leur piédestal. C’est tout à l’honneur de Dupieux que de se frotter à cette problématique universelle mais rarement abordée, en choisissant pour porte-parole le décidément atypique Raphaël Quenard, dont l’accent réussit à inquiéter autant que le sourire, confronté pour l’occasion à trois comédiens davantage dans la norme : Blanche Gardin, Pio Marmaï et Sébastien Chassagne. Yannick repousse les limites de la comédie traditionnelle en vivifiant le théâtre par l’irruption saugrenue jusqu’au tragique d’un trublion qui transgresse une forteresse interdite, la scène, dans un acte de désespoir ultime où le profane ose interférer avec le sacré. Au point de justifier une intervention de la BRI élevée au rang suprême de police de la pensée. Sans qu’on puisse déterminer précisément si c’est de l’art ou du cochon…
Jean-Philippe Guerand
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