Documentaire autrichien de Tizza Covi et Rainer Frimmel (2022), avec Vera Gemma, Walter Saabel, Asia Argento, Annamaria Ciancamerla, Sebastian Dascalu, Daniel de Palma, Alessandro di Sanzo, Giuliana Gemma, Gennaro Lillio… 1h55. Sortie le 23 août 2023.
Vera Gemma et Asia Argento
Le documentaire est devenu en quelques années un formidable champ d’investigation qui a démontré son extensibilité et son adaptabilité en se prêtant aux expériences les plus extrêmes. Il apparaît ainsi assez périlleux de désigner avec certitude le genre exact dont ressort Vera. Cinéma-vérité ? Biopic ? Introspection ? Tout l’intérêt de cet essai cinématographique est d’imbriquer ce questionnement formel avec son sujet de départ : le portrait d’une femme mûre aux traits déformés par la chirurgie esthétique qui arbore son nom de famille comme un étendard existentiel et se rattache à une figure tutélaire à laquelle elle semble avoir sacrifié sa propre vie. Vera est la fille d’une gloire authentique dont son existence a été consacrée à perpétuer la mémoire chérie : l’acteur Giuliano Gemma (1938-2013). Comme si le chapeau de cow-girl qu’elle arbore en permanence constituait un hommage subliminal et complice à celui qui interpréta tant de westerns-spaghetti, mais aussi de péplums et de films de genre populaires. Sous couvert de mettre leurs pas dans ceux de cette créature aussi fantasque qu’attachante, Tizza Covi et Rainer Frimmel la mettent littéralement en scène en tordant le concept élastique de cinéma du réel, à travers sa relation avec un petit Roumain qui devient une sorte de révélateur à la suite d’un accident de la circulation. Une rencontre accidentelle qui interroge d’ailleurs sur la démarche des réalisateurs et le coup de pouce salubre qu’ils ont donné ainsi à la réalité.
Daniel de Palma et Vera Gemma
Le propos de ce film consiste à souligner la solitude de cette fille qui arbore son patronyme comme un fardeau et souffre de ne pas pouvoir se montrer à la hauteur de son illustre père dans un monde impitoyable dont elle ne semble avoir enduré que les revers. À travers sa rencontre (inopinée ou provoquée) avec ce petit garçon de milieu modeste, c’est un miroir qui lui est tendu dans lequel elle prend conscience de la sordide réalité de sa situation et notamment de la profonde solitude qui la ronge à petit feu. Vera distille une étrange cruauté ponctuée de grosses bouffées de tendresse et acquiert une dimension inattendue à travers ce postulat qui consiste à infléchir le réel en confrontant sa protagoniste à un gamin qui devient en quelque sorte son double négatif. Celui-ci agit comme un révélateur photographique en lui faisant prendre conscience d’une réalité qui lui déplaît mais qu’elle subit, faute d’avoir réussi à se faire un prénom dans le domaine ou a brillé son père et où elle a toujours végété. La caméra s’impose par le respect avec lequel elle suit cette femme et la laisse peu à peu devenir le guide de sa propre existence, comme encombrée de son look improbable qui reflète une assurance de façade bien peu conforme à sa nature profonde. Au fil des moments dérisoires d’intimité que nous donne à partager ce film, affleure une vérité dépourvue du moindre artifice où l’objectif devient un scalpel de l’âme et nous permet d’atteindre une dimension rarement accessible.
Jean-Philippe Guerand
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