Film américain de Tina Satter (2023), avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis, Benny Elledge, John Way, Darby, Arlo… 1h22. Sortie le 16 août 2023.
Sydney Sweeney
On affirme que la réalité dépasse parfois la fiction. En l’occurrence, Reality représente une appropriation d’événements authentiques dont l’enregistrement sonore a servi de fil conducteur au scénario écrit par la réalisatrice Tina Satter en respectant scrupuleusement son déroulement. Une démarche qui peut paraître singulière mais reproduit avec une fidélité méticuleuse la perquisition effectuée par des agents du FBI le 3 juin 2017 au domicile de Reality Winner (littéralement “Réalité Gagnante”, une identité prédestinée !), une ancienne de l’US Air Force accusée d’être une lanceuse d’alerte dont l’interrogatoire sert de bande son à ce film net et lapidaire. Une expérience cinématographique originale qui apporte de l’eau au moulin de la paranoïa collective de l’Amérique lorsqu’elle sent son intégrité menacée. En respectant scrupuleusement la transcription qui lui sert de trame, Reality démonte un système diabolique qui transforme une enquête de routine en un incroyable jeu du chat et de la souris où une enseignante de yoga qu’on qualifiera de zen se plie aux moindres demandes des enquêteurs chargés d’établir sa responsabilité sinon sa culpabilité. Bref, une version très cool du cinéma d’espionnage entre interlocuteurs de bonne volonté et dans une atmosphère aux antipodes des romans de John Le Carré, ne serait-ce que parce que l’affaire se déroule sous le soleil de la Californie, avec des maisons impersonnelles et identiques à perte de vue.
Sydney Sweeney
Pour son premier long métrage, Tina Satter porte à l’écran sa propre pièce de théâtre dont le sujet se prêtait à idéalement au respect de la fameuse règle des trois unités. Elle exploite notamment à merveille sa durée en faisant de sa concision un argument à toute épreuve, évite la tentation des flash-backs et se contente de passer du jardin de Reality à l’intérieur de sa maison immaculée. Un défi spatio-temporel qui atteste de son sens aigu de la dramaturgie et s’inscrit dans la lignée de ces films comme Phone Game (2003) de Joel Schumacher, Buried (2010) de Rodrigo Cortès ou The Guilty (2018) de Gustav Möller qui fonctionnent comme des comptes à rebours. Au passage, elle décrit une nouvelle génération d’activistes qui œuvrent sans agressivité pour mieux diffuser leurs idées, mais ne baissent pas la garde pour autant. Il convient de saluer ici l’interprétation impressionnante de la comédienne Sydney Sweeney, vue dans diverses séries, toute en douceur et en sourires face à des enquêteurs déconcertés par le peu de prise qu’ils parviennent à exercer sur cette militante insaisissable mais déterminée. Reality décrit un processus assez inquiétant qui permet aux services de sécurité américains de s’immiscer dans l’existence de simples citoyens et de leur infliger un traitement qui peut paraître par bien des aspects assez peu conforme aux principes de base de la démocratie, à l’instar des prisonniers emprisonnés dans le camp de haute sécurité de Guantanámo pour suspicion de terrorisme au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, mais détenus sans toujours être jugés.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire