Accéder au contenu principal

“Quand les vagues se retirent” de Lav Diaz



Kapag Wala Nang mga Alon Film philippino-franco-dano-portugais de Lav Diaz (2022), avec John Lloyd Cruz, Ronnie Lazaro, Don Melvin Boongaling, Shamaine Buencamino, Danilo Ledesma, Aryanne Gollena, Roel Laguerta, Neil Alvin Delas Alas, Ronaliza Jintalan… 3h07. Sortie le 16 août 2023.



John Lloyd Cruz et Shamaine Buencamino



Lav Diaz est le plus célèbre représentant du cinéma philippin contemporain. Un esthète adepte de l’art de la fresque qui use le plus souvent du noir et blanc pour mettre en scène des tableaux historiques qui renvoient par leur puissance d’évocation et leur sens de l’esthétique au premier âge du cinéma, celui au cours duquel s’illustrèrent ces pionniers que furent l’Américain David Wark Griffith, le Russe Sergeï Mikhaïlovitch Eisenstein et le Français Abel Gance. Chez Diaz, cet art de l’épopée va de pair avec un goût prononcé pour l’intimisme, même s’il puise volontiers son inspiration dans des moments de l’histoire de son pays qui nous sont inconnus et se manifestent bien souvent à travers le bruit et la fureur. Avec deux autres constantes : des titres d’une folle poésie, une gestion alypique de la durée et un usage presque systématique du noir et blanc. Disciple autoproclamé des écrivains russes Leon Tolstoï et Fedor Dostoïevski, Lav Diaz n'est devenu réalisateur qu’à la quarantaine et a obtenu le Léopard d’or du festival de Locarno 2014 pour From What is Before (5h38), puis le Lion d’or de la Mostra de Venise deux ans plus tard pour La femme qui est partie (3h46). Il revient aujourd’hui avec un opus d’une longueur plus classique (un peu plus de trois heures), Quand les vagues se retirent, qui s’apparente au film noir par sa thématique universelle et une structure commune à bon nombre de classiques. Avec même le duel final qui clôt certains westerns, ici sous une forme pour le moins brouillonne entre deux combattants épuisés.



Don Melvin Boongaling et John Lloyd Cruz



Un lieutenant de police chargé d’appliquer des consignes radicales de sa hiérarchie afin d’éradiquer les réseaux de trafics de drogue, est miné par un remord qui se manifeste physiquement au plus profond de son être par une mystérieuse maladie de peau. Confronté à l’exécution systématique et sans sommation des petits dealers et des consommateurs de stupéfiants, il se persuade que le mal qui le ronge ne pourra être surmonté que s’il élimine le caïd tout puissant qui règne sur la pègre et dont les activités sont à l’origine de tant de morts inutiles. Une croisade personnelle dont il est convaincu qu’elle le mènera sur le chemin de la rédemption, même s’il doit se sacrifier pour cela. Le traitement que Lav Diaz applique à ce sujet traduit son ambition. Il s’attache à deux hommes dont les chemins finiront par se croiser dans un affrontement ultime et inéluctable qui ressemble davantage à une bagarre de poivrots qu’à ces combats titanesques auxquels nous ont habitués certains films hollywoodiens ou asiatiques. Il faut toutefois pour ces protagonistes en passer d’abord par une série d’épreuves qu’on ne qualifiera pas d’initiatiques mais plutôt de purificatrices, tant le parcours à accomplir s’avère tortueux. À son habitude, le cinéaste philippin auréole son propos de puissantes références religieuses dans un pays où la foi apparaît omniprésente et où convergent deux cultures : asiatique et latina. Il décrit ainsi le mal étrange qui ronge son justicier solitaire comme une malédiction occulte à laquelle ne pourra mettre un terme définitif que l’accomplissement de sa mission considérée autant comme un devoir professionnel qu’un authentique sacerdoce. C’est tout l’intérêt de cette élégie funèbre traitée parfois comme une eau-forte que de s’élever ainsi au-dessus des vivants.

Jean-Philippe Guerand






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract