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“Les avantages de voyager en train” d’Aritz Moreno



Ventajas de viajar en tren Film hispano-français d’Aritz Moreno (2019), avec Luis Tosar, Pilar Castro, Ernesto Alterio, Quim Gutiérrez, Belén Cuesta, Macarena Garcia, Javier Godino, Stéphanie Magnin, Ramon Barea, Alberto San Juan, Gilbert Melki, Iñigo Aranburu… 1h43. Sortie le 9 août 2023.



Luis Tosar



Un homme et une femme se rencontrent dans un train. Elle est éditrice et vient de faire interner son époux. Son compagnon de voyage est un médecin en verve qui lui expose plusieurs cas pathologiques auxquels il s’est trouvé confronté. Tiré d’un best-seller homonyme d’Antonio Orejudo, le premier long métrage d’Aritz Moreno est vraiment un film hors du commun par sa construction alambiquée et sa mise en scène d’une époustouflante virtuosité qui va jusqu’à enchevêtrer quatre flashes-back les uns dans les autres sans que le spectateur ne perde jamais le fil de ce récit en spirale. Ce tableau de mœurs réussit par ailleurs à pratiquer le mélange des genres en s’offrant des changements de ton acrobatiques et en multipliant les protagonistes. Ainsi que le souligne d’ailleurs facétieusement l’un des personnages extravagants de ce catalogue de turpitudes feuilleté avec humour, Les avantages de voyager en train revendique sa filiation avec une longue tradition du cinéma ibérique, notamment à travers l’une de ses figures emblématiques, Luis Buñuel, dont il cite nommément Tristana (1970), mais aussi en assumant le baroque flamboyant cher à un Álex de la Iglesia, et la structure du film à sketches telle que l’illustrèrent des petits maîtres aussi croquignolets que le Brésilien Alberto Cavalcanti et ses pairs dans Au cœur de la nuit (1945) et le Britannique Freddie Francis dans Le train des épouvantes (1965). Le novice Aritz Moreno manifeste une liberté et une audace qui tranchent avec notre ère écartelée entre le politiquement correct et le woke. Comme s’il s’était trompé d’époque. On lira sans doute çà et là que ce film est choquant voire scandaleux. Il apparaît surtout d’une folle ambition.



Pilar Castro



Le cinéma contemporain est trop prévisible pour surprendre. Il n’existe bien souvent que pour plaire et rapporter des millions au box-office, sinon des louanges qui les valent bien. C’est donc une authentique illumination que de découvrir Les avantages de voyager en train qui déroge à toutes les règles en usage et s’abstrait délibérément des codes du bon goût par ses personnages fantasques, ses situations extrêmes et ses sentiments exacerbés. Avec cette circonstance atténuante que constitue le désordre mental comme justification des folies les moins douces. Rarement le cinéma s’est aventuré dans des zones aussi obscures avec une telle détermination. Et pourtant, que ça fait du bien de se laisser porter aussi loin de la normalité sans avoir à endurer un laïus moralisateur en forme de repentir. Ici, le bon goût et les conventions détonneraient. Aritz Moreno se hasarde en effet dans les replis les plus inaccessibles de notre inconscient. Là où le cinéma peine à se frayer un chemin, faute d’être trop formaté pour plaire à tout prix. On y croise ce que l’humanité compte de plus extravagant et surtout de moins recommandable, vices et perversions à l’appui. Dire que certaines scènes de ce film peuvent choquer apparaît comme un doux euphémisme. Il constitue en effet un bestiaire de turpitudes qui nous est exposé comme un échantillonnage de notre côté le plus obscur, avec la contribution précieuse d’une galerie d’interprètes qui ne craignent ni de surprendre ni de choquer au fil de ce voyage surprise rocambolesque.

Jean-Philippe Guerand






Gilbert Melki

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