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“Animalia” de Sofia Alaoui



Film qataro-franco-marocain de Sofia Alaoui (2023), avec Oumaïma Barid, Mehdi Dehbi, Fouad Oughaou, Souad Khouyi, Mohamed Lahbib… 1h30. Sortie le 9 août 2023.



Oumaïma Barid



Les réalisateurs du Maghreb affichent depuis quelque temps une audace dynamique, en s’attelant à des sujets qu’on croyait réservés aux cinématographies les plus puissantes, comme ont pu l’attester récemment deux productions algériennes atypiques : La dernière reine d’Adil Bendimerad et Damien Ounouri, ambitieuse réécriture du film de cape et d’épée, et Omar la fraise d’Elias Belkeddar, relecture narquoise du polar. C’est sur un tout autre terrain que s’aventure la cinéaste marocaine Sofia Alaoui à qui Animalia a valu le très prestigieux prix spécial du jury au festival de Sundance dans la section fiction du cinéma du monde. Une consécration qui couronne l’ambition de cette œuvre dans laquelle une femme enceinte se trouve confrontée à des événements surnaturels tels qu’on en croise plus volontiers dans le cinéma hollywoodien. Avec en perspective une menace sourde qui provoque une panique indescriptible et va transformer la parturiente en cavalière de l’apocalypse. On retrouve dans cette confrontation de l’individu à des événements qui le dépassent l’inspiration qui sous-tendait déjà le court métrage Qu’importe si les bêtes meurent, grand prix du jury à Sundance en 2020 et César 2021. Dans un cas comme dans l’autre, la réalisatrice confronte un personnage ordinaire à une situation hors du commun, avec à la clé un instinct de survie à toute épreuve qui lui vient de ses origines terriennes modestes.



Oumaïma Barid



La réalisatrice Sofia Alaoui procède par petites touches. D’abord en s’attachant à une femme d’origine modeste à qui son mariage a permis de vivre dans des conditions privilégiées parmi sa belle-famille. Ensuite en la confrontant à des circonstances exceptionnelles auxquelles elle réagit avec son instinct de fille du peuple qui porte la vie en elle. Jusqu’à se retrouver seule contre tous, alors même que le monde tout entier bascule dans l’inconnu, sous la menace d’une invasion extraterrestre. Animalia s’impose comme une alternative posée au cinéma de bruit et de fureur d’un Roland Emmerich, mais aussi aux fresques mystiques d'un Terrence Malick, en s’appuyant sur la puissance de suggestion davantage que sur une vaine débauche d’effets spéciaux. Les progrès fulgurants de la technologie permettent en effet désormais à n’importe quel cinéaste un peu roublard de faire illusion visuellement, sans qu’il ait pour autant un quelconque message à faire passer. Reste que là n’est pas l’essentiel. Sofia Alaoui l’a parfaitement compris qui suggère davantage qu’elle ne montre et utilise ces artifices avec parcimonie, de crainte d’édulcorer la puissance de son propos, avec au montage une autre réalisatrice, Héloïse Pelloquet (La passagère). Sofia Alaoui préfère suivre pas à pas son interprète principale, l’omniprésente Oumaïma Barid, et s’inscrit d’autorité dans la lignée de ces approches minimalistes proposées par Jordan Peele dans Nope (2022) voire John Hillcoat dans son adaptation de La route (2009) de Cormack MacCarthy. Intitulé à l’origine Parmi nousAnimalia est une proposition de cinéma inventive qui reflète la richesse du parcours personnel de sa réalisatrice, élevée en Chine par un père marocain et une mère française. Un métissage fertile qui pare son cinéma d’une richesse atypique et l’inscrit délibérément dans une autre dimension, plus universelle mais aussi plus intime.

Jean-Philippe Guerand






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