Film belgo-français de Marie Amachoukeli (2023), avec Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno Zego, Arnaud Rebotini, Abnara Gomes Varela, Fredy Gomes Tavares, Domingos Borges Almeida… 1h24. Sortie le 30 août 2023.
Arnaud Rebotini et Louise Mauroy-Panzani
Révélée par Party Girl (2014), le film poignant qu’elle avait coréalisé avec ses camarades de la Femis, Claire Burger et Samuel Theis, Marie Amachoukeli est la dernière des trois à se lancer en solo. Comme C’est ça l’amour (2018) et Petite nature (2021), àma Gloria évolue sur la corde raide des sentiments dans une suprême intimité. La réalisatrice s’y inspire d’un souvenir d’enfance : celui d’une nounou capverdienne qui l’a emmenée un jour en vacances dans son pays et l’a contrainte à la partager avec ses propres enfants dont elle vivait éloignée le restant de l’année. Un effet de réalité saisissant filmé ici avec une délicatesse infinie où une petite fille européenne élevée dans un cocon découvre l’envers du décor, sans toujours parvenir à comprendre la profonde injustice qui régit la vie par procuration de cette femme privée de voir grandir sa progéniture pour être en mesure de gagner de quoi l’élever décemment, en étant séparée d’eux. La singularité de ce film présenté à Cannes en ouverture de la Semaine de la critique réside dans son postulat qui consiste à montrer l’absurdité de cette situation et son décryptage forcé par une petite fille trop jeune pour en saisir l’absurdité et ses nuances. La qualité du regard de Marie Amachoukeli réside dans sa capacité à se mettre à la place de l’enfant de 6 ans qu’elle a été et de la concierge portugaise qui a veillé sur ses premières années. Avec son innocence spontanée, mais aussi parfois un caractère capricieux qui tranche avec le naturel résigné de ses hôtes et l’accueil chaleureux qu’ils lui réservent sans la moindre arrière-pensée.
Louise Mauroy-Panzani et Ilça Moreno Zego
àma Gloria repose pour une bonne part sur la qualité de son interprétation et la complicité de ses deux actrices principales. Un véritable miracle qui reflète la délicatesse de la direction d’acteurs d’une réalisatrice toute entière tournée vers l’humanité de ses protagonistes. Une prouesse également, dans la mesure où il ne suffit pas de choisir la bonne interprète au casting pour réussir à lui faire exprimer des sentiments parfois violents. Et là, on frise le miracle en la personne de la petite Louise Mauroy-Panzani. Il suffit de l’observer attentivement sur la photo choisie pour illustrer l’affiche. On y discerne un mélange de détermination et de fragilité qui s’exprime à travers son rôle d’enfant gâtée attachée à sa nounou au point sans doute de la préférer à des parents trop souvent absents. Le film décrit là une situation rarement abordée au cinéma, tant le rythme trépidant du monde moderne associé à la multiplication des familles monoparentales l’a banalisée, alors même que ces sentiments apparaissent déjà dans la littérature du 18e siècle et notamment dans les milieux aristocratiques dépeints par la Comtesse de Ségur où les parents n’assurent l’éducation de leurs enfants qu’avec des domestiques dévoués qui se chargent des tâches les plus ingrates. Marie Amachoukeli ne fait d’ailleurs apparaître que de manière fugitive la mère de sa jeune héroïne, comme pour signifier qu’elle s’efface devant son employée. Avec cette double quête parallèle des deux personnages vers leur indépendance : la nounou en retrouvant sa terre nourricière, la petite en découvrant la douleur que provoque la séparation. Comme la version colorée et naturaliste de Mary Poppins, avec en commun des incursions dans l’animation pour représenter ce qui échappe au réel. Ce film-là se quitte la gorge nouée au terme d’un rare éblouissement émotionnel.
Jean-Philippe Guerand
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