Film franco-belge de Marie Garel-Weiss (2023), avec Daphné Patakia, Benoît Poelvoorde, Agnès Jaoui, Raphaël Quenard, Jeanne Rosa, Julie Moulier, François Rollin, Florence Muller, Maud Wyler, Evelyne Buyle… 1h31. Sortie le 26 juillet 2023.
Benoît Poelvoorde et Daphné Patakia
Une presque trentenaire cramponnée à son adolescence comme une huître à son rocher décide de plonger dans le grand bain de la vie adulte en commençant par s’insérer dans le monde du travail. Un univers impitoyable qui lui donne l’occasion de rencontrer un patron à peu près aussi décalé qu’elle en la personne d’un avocat que sa rupture conjugale a laissé anéanti. L’union faisant la force, surtout des plus faibles, ils se lancent ensemble dans la défense d’un arnaqueur de modeste envergure au contact duquel ils vont se révéler à eux-mêmes et à leur entourage, chacun à sa façon. Un tel sujet ne peut véritablement exister que s’il est porté par des interprètes à sa démesure. Or, la réalisatrice Marie Garel-Weiss a eu le nez creux en réunissant pour l’occasion un quatuor de choc. Une attirance pour les marginaux décalés qui affleurait déjà de ses deux opus précédents : le film La fête est finie (2017) et la fiction télévisée Qu’est-ce qu’on va faire de Jacques ? (2021). Elle entraîne cette fois dans sa folie douce deux des jeunes acteurs les plus singuliers de leur génération : Daphné Patakia (la nonne lubrique de Benedetta à laquelle on accorderait volontiers le Bon Dieu sans confession) et le désormais omniprésent Raphaël Quenard (Chien de la casse). Avec en prime deux aînés bienveillants : Benoît Poelvoorde plus lunaire que jamais qui semble avoir renoncé aux grosses machines impersonnelles au profit d’un cinéma d’auteur foisonnant d’invention qui lui permet d’exhiber et de décliner ses fêlures, ainsi qu’en ont attesté récemment Inexorable de Fabrice du Welz et Normale d’Olivier Babinet. Et puis Agnès Jaoui, toujours en terrain familier sur les registres minimalistes et intimes.
Benoît Poelvoorde et Agnès Jaoui
Ces drôles d’oiseaux témoignent d’une marginalité fragile où la vulnérabilité devient parfois une force, Sur la branche où aiment à se reposer ceux qui sont tombés du nid et peinent à trouver leur juste place dans un monde qui a cru bon d’ériger en dogme absolu sa conception excluante de la normalité. Marie Garel-Weiss œuvre avec maestria sur la corde raide du décalage et rêve d’un univers gouverné par une réjouissante irrationnalité où la raison du plus fou a parfois la chance d’être aussi la meilleure. En plein cœur de l’été, ce film d’auteur distille une fantaisie qui fait honneur au cinéma français en brouillant les cartes et en s’aventurant sur des chemins de traverse propices à de nouvelles relations amoureuses. Le couple formé par Daphné Patakia et Raphaël Quenard est de ceux qui contribuent à faire bouger les lignes de ce genre si galvaudé qu’est la comédie sentimentale, en troquant le pathos au profit d’une excentricité communicative. Parce que la séduction passe aussi par un certain mal de vivre et que ces acteurs-là excellent sur ce registre sans susciter pour autant la compassion, mais plutôt en nous donnant à partager un esprit d’indépendance solidement ancré dans l’air du temps. Avec un sens du burlesque qui fait plaisir à voir. Voici une jolie alternative à un cinéma dominant qui se noie peu à peu dans les eaux troubles de ses clichés et gagnerait à prendre davantage de hauteur pour regagner le cœur du public lassé de trop de stéréotypes éculés et déconnectés de la réalité du quotidien.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire