Film français de Camille Japy (2023), avec Ariane Ascaride, Bérénice Bejo, Thomas Scimeca, Marilou Aussilloux, Stéphane Brel, Scarlett Cholleton, Guillaume Clemencin, Bernard Alane, Christophe Odent, Hugo Questel, Luce Renier, Christophe Kourotchkine, Zinedine Soualem, Nicolas Vaude… 1h37. Sortie le 19 juillet 2023.
Bérénice Bejo et Ariane Ascaride
Alors qu’elle s’apprête à accueillir ses enfants venus célébrer son anniversaire, une femme voit son mari s’effondrer sous ses yeux sans pouvoir réagir. Dans un étrange réflexe, elle décide de cacher son corps sous son lit et de dissimuler sa disparition à ses hôtes afin de ne pas gâcher la fête qui les réunit. Mais c’est compter sans le poids écrasant de l’absent… Pour sa première réalisation, la comédienne Camille Japy, dont la carrière a atteint son pinacle avec un film miraculeux (Nos vies heureuses de Jacques Maillot, en 1999), a choisi de se frotter à un exercice de style plutôt périlleux dont elle se tire en évitant de verser dans le pathos, sans céder pour autant à la tentation de la comédie lénifiante dégoulinant de bons sentiments. L’émotion y cohabite heureusement avec une atmosphère faussement rassurante de réunion de famille propice aux épanchements où les langues se délient dans un dérivé collectif du jeu de la vérité. Comme si le défunt exerçait un pouvoir de révélateur sur ses proches et contribuait ad patres à compenser trop de non-dits accumulés qui attendaient le moment opportun pour pouvoir enfin briser le silence. Le film s’en remet pour cela à deux atouts maîtres : des dialogues qui fusent et virevoltent en évitant la tentation des mots d’auteur et des interprètes dans la retenue davantage que dans la performance. De son expérience dramatique, la réalisatrice a retenu une prédilection pour la direction d’acteurs qui crevait déjà l’écran dans son court métrage Petites filles (2018) centré autour de la mort d’une grand-mère et ses conséquences sur sa descendance.
Bérénice Bejo et Thomas Scimeca
Sous le tapis s’attache à ces liens ténus qui en viennent à conditionner certaines familles en substituant trop souvent le silence aux explications, quitte à laisser les non-dits s’accumuler et devenir des abcès de fixation propices à bien des déflagrations potentielles. Le film est indissociable de la composition d’Ariane Ascaride en cheffe de famille conscient de ses responsabilités. Malgré le deuil qui l’atteint, elle assume son rôle sans trembler et porte sur ses épaules la douleur de ses descendants, en éludant la sienne dans une sorte de réflexe primaire. Déni soit qui mal y pense ! avec son lot de non-dits et de silences un peu trop pesants, Sous le tapis décrit la famille d’aujourd’hui avec ses paradoxes et ses contradictions : disposée à se rassembler autour des bougies d’un anniversaire, mais moins prompte à enterrer l’un des siens. Dès lors, les grands-parents apparaissent comme son unique repère fédérateur, quand le frère et la sœur n’ont plus grand-chose à se raconter et ressassent des rancœurs dont ils ne situent pas toujours l’origine, leurs modes de vie ayant accompli le grand écart. Au personnage lisse de fille prodigue surprotégée que campe Bérénice Bejo qui pleure comme elle rit sans que le vernis craque, Thomas Scimeca oppose la marginalité à fleur de peau du mouton noir de la lignée, L’intelligence du scénario de Camille Japy consiste à avancer à contre-courant de ces clichés, en montrant que la mère qui pourrait sombrer est aussi celle qui assure l’unité familiale, même lorsqu’elle menace de prendre l’eau de toutes parts. Au cœur de l’été si ingrat, cette histoire simple toute en retenue est un petit miracle qui contraste singulièrement avec tant de blockbusters plus tapageur.
Jean-Philippe Guerand
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