What She Said : The Art of Pauline Kael Documentaire américain de Rob Garver (2018), avec Pauline Kael, Alec Baldwin, Francis Ford Coppola, Woody Allen, Quentin Tarantino, Carol Baum, Wiliam Peter Blatty, Peter Bogdanovich, Paul Schrader, Dick Cavett, John Guare… 1h35. Sortie le 16 novembre 2022.
Pauline Kael
« La critique est aisée et l’art est difficile », affirmait Philippe Néricault, auteur oublié du XVIIIe siècle. La critique est surtout un art ingrat qui consiste à juger le travail des autres, sans toujours le décortiquer. Pauline Kael (1919-2001), l’une de ses plus influentes représentantes, entra dans cette carrière en étrillant Les feux de la rampe (1953), sous prétexte qu’elle n’aimait pas qu’on la fasse pleurer, tandis que l’un de ses confrères était chargé quant à lui de tresser des louanges au film de Charles Chaplin. Mais c’est dans les colonnes du “New Yorker” qu’elle devient elle-même une légende entre 1967 et 1991, accompagnant notamment le Nouvel Hollywood et soutenant ardemment Martin Scorsese, Brian de Palma, Steven Spielberg, Woody Allen, Robert Altman ou Sam Peckinpah. Elle assume la subjectivité de son regard, mais refuse de céder au jeu narcissique de l’intellectualisation cher à la critique européenne, elle qui avouait avoir rompu à cause de West Side Story. Quitte à prendre parfois le contre-point de ses collègues pour tirer à boulets rouges sur des monuments comme Hiroshima mon amour (1959) d’Alain Resnais, La dolce vita (1960) de Federico Fellini, La notte (1961) de Michelangelo Antonioni, 2001 : l’odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick, L’exorciste (1973) de William Friedkin, Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola, à qui elle avait cru bon de déconseiller d’utiliser la “Chevauchée des Valkyries“ de Richard Wagner, et même… l’intouchable Shoah (1985) de Claude Lanzmann. Avec un pouvoir de nuisance rehaussé par son refus du snobisme qui justifie pleinement le titre accrocheur de ce film : Qui a peur de Pauline Kael ?
Pauline Kael
En rendant hommage à Pauline Kael, qui se destinait initialement à devenir dramaturge et affirmait pouvoir plus aisément se passer de films que de livres, Rob Garver n’évite pas tous les pièges inhérents à une telle entreprise et confronte des images d’archives et des extraits de films judicieusement choisis aux réactions de certains des cinéastes loués ou éreintés par cette femme de l’ombre qui a par ailleurs publié pas moins de treize livres, après s’être défaite du style académique que lui avaient inculqué ses études universitaires. Au point de s’en prendre parfois à certains de ses confrères dont le non moins redouté Andrew Sarris du “Village Voice” et de parrainer des jeunes confrères parmi lesquels Paul Schrader et d’autres épigones désignés sous le sobriquet de “Paulettes” qui soutenaient ses thèses pour renforcer son aura. Reste la passion qui animait cette femme de caractère capable de résister à l’emprise des studios, au point de ne jamais interviewer les acteurs qu’on lui proposait au profit de celles et ceux qui lui écrivaient pour la remercier ou l’agonir d’injures en lui reprochant d’avoir nui à leur carrière ou en la félicitant d’avoir compris leurs intentions. Avec aussi cette culture considérable qui lui permettait de citer comme son film préféré… le court métrage muet très oublié de Dimitrri Kirsanoff Ménilmontant (1926) qui résumait à lui seul sa conception du cinéma comme un art destiné à toucher au cœur avant de monter éventuellement au cerveau pour flatter les neurones.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire