Accéder au contenu principal

“Limbo” de Soi Cheang



Film hong-kongo-chinois de Soi Cheang (2021), avec Ka Tung Lam, Yase Liu, Mason Lee, Hiroyuki Ikeuchi, Fish Liew… 1h58. Sortie le 12 juillet 2023.



Yase Liu



Le point de départ de ce film est des plus classiques. Un policier désabusé fait équipe avec une jeune recrue pour élucider une série de crimes qui vise des jeunes femmes. Couronné du grand prix et du prix de la critique au festival Reims Polar, Limbo s’impose d’emblée par son parti pris esthétique et notamment l’usage d’un noir et blanc traité comme une eau-forte. L’atmosphère y est délibérément crapoteuse dans un cadre interlope où la grande ville recèle des zones de non-droit dans lesquelles les autorités ne prennent même plus la peine de s’aventurer, sous peine de s’y perdre et de crainte de s’y trouver confrontées à un monde parallèle régi par ses propres lois. Un univers marginal et souterrain propice aux pires turpitudes où un tueur en série passablement dérangé peut retenir prisonnière indéfiniment l’une de ses victimes pieds et poings liés, juste pour jouir secrètement de sa souffrance en toute impunité. Ce monde à part qu’on peut qualifier d’“underground” au propre comme au figuré apparaît comme une sorte de matérialisation du premier des neuf cercles de l’enfer, les fameuses Limbes évoquées dans le titre, jonché de statuettes et de figurines à perte de vue et perdu dans un dédale de canaux souterrains.



Yase Liu et Hiroyuki Ikeuchi



Soi Cheang met en scène une sorte d’univers à deux niveaux qui renvoie à la mythologie en opposant topographiquement le Bien (relatif) en surface au Mal en sous-sol, avec cet enjeu élémentaire qui consiste pour les policiers à trouver comment passer d’un monde à l’autre pour remplir leur mission. Ce film saturé de symbolisme et noyé de pluie est une réussite qui convoque trois influences majeures : le Stanley Kubrick du Baiser du tueur (1955), le Ridley Scott de Black Rain (1989) et le Lars von Trier de The House That Jack Built (2018). Son intrigue nébuleuse n’apparaît très vite que comme un prétexte à un exercice de style éblouissant dont chaque image est ciselée avec virtuosité. Avec en filigrane un éloge délirant de la décadence. Limbo n’est pas une invitation au rêve mais plutôt au cauchemar dont chaque image est une œuvre d’art authentique qui contribue à nous transporter dans un monde à part. La révélation d’un cinéaste quinquagénaire originaire de Macao qui n’en est pas vraiment à son coup d’essai et a tourné depuis trois autres films et une série télévisée. Autant de bonnes raisons d’en découvrir davantage…

Jean-Philippe Guerand








Yase Liu et Hiroyuki Ikeuchi

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract