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“Les filles d‘Olfa” de Kaouther Ben Hania



Documentaire franco-tuniso-germano-saoudien de Kaouther Ben Hania (2023), avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni, Eya Chikahoui, Tayssir Chikhaoui, Nour Karoui, Ichraq Matar, Majd Mastoura… 1h50. Sortie le 5 juillet 2023.



Olfa Hamrouni



Devenu aujourd’hui le genre le plus fertile et le plus polymorphe du cinéma avec l’animation, le documentaire ne cesse de se réinventer et d’user d’artifices destinés à accentuer son efficacité et sa force de suggestion. Parmi les ramifications qu’il a créées, figure en bonne place l’auto-fiction qui consiste le plus souvent à partir à la recherche de ses origines où à élucider un secret de famille profondément enfoui. Des quêtes incertaines entreprises sans souvent en connaître l’issue, ni même avoir l’assurance d’aboutir à un résultat tangible. C’est la démarche d’Éric Caravaca exhumant un frère mort dans Carré 35 (2017) ou récemment de Mona Achache dans Little Girl Blue où Marion Cotillard donnait une image et une voix à sa mère. Deux films maghrébins présentés cette année à Cannes se sont partagé le prestigieux Œil d’or du meilleur documentaire, toutes sections confondues : La mère de tous les mensonges de la Marocaine Asmae El Moudir et Les filles d‘Olfa de la Tunisienne Kaouther Ben Hania. Ds quêtes intimes qui ont recours à des artifices narratifs sophistiqués pour remplir des vides et combler des absences. Chez cette dernière, il s’agit d’évoquer le destin d’une femme qui a perdu deux de ses quatre filles, avec cette idée de mise en scène lumineuse qui consiste à engager des comédiennes pour incarner les absentes et à demander à une actrice d’être prête à intervenir au cas où la confrontation avec le réel s’avère trop douloureuse pour la mère poule amputée d’une partie de la chair de sa chair.



Eya Chikahoui, Tayssir Chikhaoui

Nour Karoui et Ichraq Matar



Les filles d’Olfa confirme le talent d’une réalisatrice qui a déjà fait ses preuves dans le domaine du documentaire avec Les imams vont à l’école (2010), Le challat de Tunis (2013) et Zaineb n’aime pas la neige (2016) avant de se frotter à la fiction dans La belle et la meute (2017), puis L’homme qui a vendu sa peau (2020). Son nouvel opus est un exemple magistral de métissage cinématographique qui se présente comme une variante foisonnante du jeu de la vérité et recourt à toutes les possibilités du cinéma pour raconter l’histoire d’une famille décomposée. Aboutissement d’une démarche entreprise dès 2016 qui a subi tours et détours avant de trouver sa forme définitive. Un sujet tragique que Kaouther Ben Hania choisit de traiter sans pathos, en célébrant la beauté de ces cinq femmes embarquées dans un voyage au bout d’elles-mêmes pour essayer de comprendre comment deux d’entre elles ont bien pu se laisser aveugler par l’une des aventures les plus désespérées de notre époque en suivant des fous de Dieu eux-mêmes guidés par un mirage. La puissance de cette évocation repose pour une bonne part sur le dispositif élaboré auquel a recours le film pour mettre cette tragédie en perspective et souligner ses conséquences humaines, en ponctuant cette reconstitution d’autant d’humour que d’amour, avec en prime la beauté presque surnaturelle de ses protagonistes, qu’il s’agisse des véritables filles d’Olfa ou des deux actrices qui représentent les absentes. Dès lors, ce film solidement inscrit dans son époque est vécu comme une salubre thérapie de groupe au féminin pluriel. C’est en tout cas une expérience de cinéma intense et réparatrice dont la forme nourrit le fond sans le moindre pathos.

Jean-Philippe Guerand







Tayssir et Eya Chikahoui

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