Film franco-belge de Pierre Jolivet (2023), avec Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier, Pasquale d’Inca, Clémentine Poidatz, Jonathan Lambert, Adrien Jolivet, Eric Combernous, Françoise Comacle, Hervé Mahieux… 1h47. Sortie le 12 juillet 2023.
Pasquale d’Inca et Eric Combernous
Voici un film qui coïncide avec deux résurrections. D’abord celle d’un cinéma français engagé contre l’injustice en général et certains scandales en particulier. Une veine qui a peu à peu déserté le cinéma français au profit de certaines séries et raréfié simultanément le paysage des héritiers d’André Cayatte ou d’Yves Boisset, là où les Américains continuent à perpétuer cette tradition qui a inspiré des œuvres aussi civiques que Promised Land (2012) de Gus Van Sant ou Dark Waters (2019) de Todd Haynes. Autre bonne nouvelle, Les algues vertes arbore la signature d’un cinéaste idéaliste qui semblait peu à peu s’être retiré des affaires : Pierre Jolivet, ci-devant réalisateur de Force majeure (1989) et de Ma petite entreprise (1999). Il reprend aujourd’hui sa panoplie de chevalier blanc idéaliste pour dénoncer un phénomène qui affecte les côtes du Finistère Nord depuis le début des années 60, mettant en danger les baigneurs et les promeneurs en quête d’espaces sauvages, en raison des rejets de nitrates provenant de l’élevage intensif qui assure la prospérité économique locale, lesquels engendrent une prolifération de ces fameuses algues vertes dont la décomposition au soleil produit des gaz dangereux dont l’hydrogène sulfuré. Une affaire d’autant plus délicate que les pouvoirs publics se trouvent confrontés à un dilemme insoluble en devant choisir entre la protection du tourisme et celle d’une industrie vitale qui fait vivre la région à l’année, mais cultive une omerta face à ceux qui l’accusent.
Hervé Mahieux et Céline Sallette
C’est dire combien la sortie même des Algues vertes en plein cœur de la saison estivale est de nature à provoquer une prise de conscience déterminante dans un contexte où l’écologie occupe une position aussi prééminente, mais où les lobbies agro-alimentaires bretons ont milité ardemment pour que Jolivet aille tourner son film loin de ces Côtes-d’Armor souillées par une véritable gangrène végétale et chimique. Pierre Jolivet s‘est inspiré pour cette croisade de salubrité publique d’une bande dessinée scénarisée par la journaliste Inès Léraud et illustrée par Pierre van Hove, “Algues vertes, l’histoire interdite” (Delcourt-La Revue Dessinée, 2019) qui retrace l’immersion de cette reporter radiophonique et de sa compagne dans cette région où elle finira par s’installer définitivement. Avec en toile de fond cette méfiance et parfois agressivité que manifestent les autochtones qui s’accrochent à des pratiques illicites pour sauvegarder leur train de vie, sans mesurer les dégâts collatéraux qu’il engendre : pas moins de trois morts suspectes et une quarantaine d’animaux anéantis dont des sangliers et même des chevaux.
Céline Sallette
Jolivet adopte le point de vue d’une authentique lanceuse d’alerte pour dénoncer la présence menaçante de cette arme de destruction massive qui dévaste des paysages de rêve sous prétexte que les agriculteurs mettent tout en œuvre pour améliorer leur rendement à l’hectare à l’aide de substances à la toxicité avérée qui se déversent dans les cours d’eau de façon anarchique et en toute impunité. Une pratique illicite et dangereuse qui se perpétue depuis des décennies sans que les autorités de tutelle y aient trouvé à redire par souci de préserver la paix sociale et certains potentats locaux. Résultat : un littoral à haut risque que les touristes ont appris à éviter et des lobbies qui exercent leur mainmise au détriment des règles sanitaires les plus élémentaires, sous prétexte de préserver les emplois. C’est ce combat inégal que relate Pierre Jolivet à travers la lutte de la femme de tête campée par l’excellente Céline Sallette dans un rôle qui cumule les handicaps aux yeux des autochtones : non seulement elle est journaliste (et homosexuelle), mais elle est parisienne, même si elle finira par s’installer définitivement en Bretagne. Le film dénoue efficacement les fils de cette enquête, en mettant en évidence sa complexité. En espérant qu’il contribuera à provoquer un changement radical des mentalités et aidera les langues à se délier.
Jean-Philippe Guerand
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