Film français d’Arnaud Viard (2023), avec Arnaud Viard, Marianne Denicourt, Romane Bohringer, Cléo Viard Garcin, Melvil Viard Garcin, Skander Archier, Enric Dausset, Stéphane Laugier, Cheikh Fathi, Romain Rondeau… 1h13. Sortie le 5 juillet 2023.
Arnaud Viard et Marianne Denicourt
Les confinements successifs justifiés par la pandémie de Covid-19 n’ont jusqu’ici inspiré qu‘assez peu d‘œuvres littéraires et artistiques mémorables, même s‘ils se sont avérés a posteriori propices à l‘écriture. Sans doute en raison d’un effet de sidération qui a engendré lui-même une sorte de période de latence favorable à la réflexion. Quelques documentaires ont fixé çà et là la situation dans des lieux ponctuels et des contextes à géométrie variable. Traditionnellement, la fiction nécessite davantage de recul pour trouver ses marques. Sans même mentionner les moyens que nécessiterait une reconstitution plausible de cette parenthèse enchantée pour les uns, désagréable pour les autres. La démarche d’Arnaud Viard est de celles qui ont profité du caractère unique de ce moment et de la suspension du temps dans un espace donné pour rendre compte de sa nature irrationnelle. Non content de cumuler comme à son habitude les casquettes d’auteur, de réalisateur et d’acteur, ce dernier mobilise en outre ses propres enfants, Cléo et Melvil, pour un jeu avec le je où un père divorcé doit concilier les contraintes de la garde alternée avec des consignes gouvernementales draconiennes sinon parfois ubuesques. Le seul spectacle du Quartier Latin déserté confère à cette comédie en noir et blanc une poésie assez étrange dans un cadre qui n’aurait pas déparé ces films de science-fiction post-apocalyptiques que sont Le survivant (1971) de Boris Sagal ou La nuit a dévoré le monde (2018) de Dominique Rocher. À cette nuance près qu’ici la réalité a dépassé allègrement la plus folle des fictions en proposant un spectacle auquel aucune batterie d’effets spéciaux n’aurait pu donner un réalisme aussi extraordinaire.
Melvil et Cléo Viard Garcin
Arnaud Viard est un adepte de l’autofiction qui puise l’essentiel de son inspiration dans son propre vécu, comme l’attestent les titres de ses premiers longs métrages, Clara et moi (2004) et Arnaud fait son 2e film (2015), le troisième étant l’adaptation du best-seller d’Anna Gavalda Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part (2019). Cléo, Melvil et moi est la chronique parisienne d’un quinquagénaire confronté à ses responsabilités au moment où la population entière voit sa liberté de mouvement entravée et où les familles se replient sur elles-mêmes dans un réflexe pavlovien. C’est le moment précis qu’Arnaud choisit pour mettre à profit cette situation en allant à la rencontre des rares Parisiens de sortie. L’occasion idéale pour conter fleurette à une pharmacienne (la trop rare Marianne Denicourt) dans son officine déserte et esquisser la possibilité d’une nouvelle vie sentimentale, en profitant de ses allées et venues autorisées jusqu’au domicile de son ex-épouse (Romane Bohringer). Un postulat que le scénario exploite avec autant d’habileté que de facéties, dans un contexte exceptionnel où la capitale voit son cadre et sa photogénie sublimés à la fois par un noir et blanc intemporel et cette raréfaction spectaculaire des passants munis de laissez-passer errant dans des rues désertes et devant des magasins fermés, tandis que le printemps explose avec insolence derrière les grilles fermées du Jardin du Luxembourg livré à la végétation. Qu’importe la minceur de son intrigue qui n’est somme toute qu’un prétexte, ce film charmant évoque une incroyable parenthèse de notre vécu.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire