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“Barbie” de Greta Gerwig



Film américano-britannique de Greta Gerwig (2023), avec Margot Robbie, Ryan Gosling, America Ferrera, Kate McKinnon, Issa Rae, Rhea Perlman, Will Ferrell, Michael Cera, Ariana Greenblatt, Ana Cruz Kayne, Emma Mackey, Hari Nef, Alexandra Shipp, Kingsley Ben-Adir, Simu Liu, Ncuti Gatwa, Scott Evans, Jamie Demetriou… 1h54. Sortie le 19 juillet 2023.



Ryan Gosling et Margot Robbie



Le cinéma hollywoodien manifeste depuis toujours une propension illimitée à transformer les phénomènes de société les plus marquants en franchises. Barbie ne pouvait pas échapper à cette règle économique. D’autant plus que cette poupée née en 1959 et vendue à plus d’un milliard d’exemplaires a su s’adapter à toutes les circonstances, notamment en intégrant les couleurs de peau et même les handicaps pour rester à la pointe des principaux mouvements de mode et préserver à la fois son image de marque et un pactole mis en péril par la désaffection dont pâtissent les poupées concurrencées désormais par des jouets dotés de capacités technologiques ô combien plus sophistiqués. Barbie joue donc gros sur sa déclinaison cinématographique dans un contexte qui ne s’avère pas nécessairement favorable à un archétype doté de tous les attributs physiques contre lesquels s’élèvent les féministes et que cumule à elle seule l’actrice australienne Margot Robbie sous sa blondeur, ses yeux de biche et sa taille mannequin. La caution de Greta Gerwig pour réaliser ce film manifeste de la part de l’industriel Mattel et du studio Warner d’un sens de l’opportunisme plutôt habile. Louée pour une adaptation des Filles du Docteur March (2019) passée au filtre anachronique de Metoo, elle se frotte aujourd’hui à un mythe d’une trentaine de centimètres qui s’échappe des chambres d’enfant et des vitrines des collectionneurs pour prendre vie et se frotter au monde réel, en compagnie de son fiancé aux cheveux oxygénés, Ken, que campe quant à lui Ryan Gosling dans un contre-emploi tout aussi radical. Un voyage fantastique qui entraîne nos tourtereaux blondinets au-delà du réel, parmi des humains confrontés à des questions qu’ils ne se sont jamais posés.



Margot Robbie (au centre)



En jouant délibérément avec les clichés qui les caractérisent et qui consistent pour l’essentiel à faire semblant, ces poupées découvrent surtout une vertu dont on les croyait dépourvues : l’humour. C’est en jouant de la dérision tous azimuts et en adoptant le look sixties  du fameux Hairspray (1988) de John Waters, lui-même inspiré des nanars vintage interprétés par le couple Frankie Avalon-Annette Funicello que Barbie remporte son pari avec la complicité d’un fabricant qui a décidé de jouer le tout pour le tout afin de protéger son pactole contre son principal ennemi : la ringardise. Les spectateurs d’aujourd’hui sont trop rompus aux subtilités de la communication pour accepter un spectacle au premier degré mettant en scène deux gravures de mode en goguette dans un monde peuplé par leur semblables où les filles se prénomment Barbie et les garçons Ken, à l’exception notable d’Allan qui choisit le camp adverse dans une prescience fulgurante de la transition de genre. En assumant une telle responsabilité, Greta Gerwig n’a rien sacrifié de ses convictions féministes. Elle possède en outre l’avantage insigne de connaître le système hollywoodien de l’intérieur et d’en avoir éprouvé les contradictions en qualité d’actrice, bien qu’elle ait surtout été associée à des films d’auteur, à commencer par ceux de son mentor Noah Baumbach, qui a d’ailleurs co-écrit son nouvel opus, et son implication dans le mouvement Mumblecore qui regroupe des chroniques intimistes laissant une large place aux dialogues pour des budgets dérisoires. C’est muni de tous ces atouts qu’elle va au-delà du mythe en commençant Barbie par une immersion dans un monde résolument factice où tout est artificiel, avant de briser le moule et de confronter son couple idéal à un monde impitoyable : la réalité. Et pour une fois, elle dépasse la plus folle des fictions en tirant à boulets rouges contre le patriarcat dominant, avec un humour salvateur et même quelques numéros de pure comédie musicale. Quitte à rebattre les cartes et à douer d'émotion ses poupées de chair et de sang, Ken associant la virilité aux chevaux et Barbie s’inscrivant dans le réel par un geste ô combien symbolique : une visite chez un gynécologue.



Ryan Gosling et Margot Robbie



Cette singulière mise en abyme semble prendre à témoin les spectateurs en leur montrant qu’elle n’est pas dupe des stéréotypes qu’elle met en scène et que ce n’est pas parce que certains enfants jouent aujourd’hui encore à la poupée qu’ils deviendront pour autant des adultes pétris de clichés et de préjugés. ce n'est pas un hasard si la séquence d'ouverture pastiche 2001 : L‘odyssée de l'espace (1968) de Stanley Kubrick et montre des gamines passant des baigneurs traditionnels qui leur donnaient la sensation d'être des petites mères à ces poupées modernes confectionnées à l’image d'adultes dans toutes les circonstances de la vie moderne. C’est sans doute la grande leçon de ce spectacle souvent désopilant et parfois poignant qui propose une réflexion en profondeur sur la capacité d’imaginaire qui caractérise l’enfance et dont les jouets sont les outils nécessaires par les perspectives cognitives infinies qu’ils leur proposent. On sait depuis The Fabelmans que c’est en reproduisant une scène de Sous le plus grand chapiteau du monde avec son train électrique que Steven Spielberg a accompli ses débuts de cinéaste… Reste aujourd’hui à savoir quel sera le destin cinématographique de Barbie et jusqu’où osera s’aventurer cette franchise aux allures de laboratoire féministe dont le démarrage européen supersonique laisse augurer de beaux lendemains. Pour peu que ses commanditaires continuent à en faire un banc d’essai à l’usage exclusif de cinéastes audacieux sinon d’auteurs tentés de se frotter à ce mythe que rien ne semble pouvoir atteindre. On en vient à rêver à une collection de films qui servirait de laboratoire au nec plus ultra de la branchitude, à travers des créateurs aussi identifiables que Nicolas Winding Refn, Tim Burton, Wes Anderson, Pedro Almodóvar, David Lynch et surtout des réalisatrices aussi novatrices et engagées que Greta Gerwig. Mais là, il faudra recruter ailleurs qu'aux États-Unis où elles manquent encore cruellement à l’appel parmi les auteurs.

Jean-Philippe Guerand







Ryan Gosling et Margot Robbie

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