Film français de Bruno Podalydès (2023), avec Karin Viard, Bruno Podalydès, Sabine Azéma, Eddy Mitchell, Agnès Jaoui, Victor Lefebvre, Isabelle Candelier, Patrick Ligardes, Manu Payet, Yann Frisch, Leslie Menu, Félix Moati, Florence Muller, Roschdy Zem, Carl Malapa, Denis Podalydès… 1h38. Sortie le 7 juin 2023.
Bruno Podalydès et Karin Viard
Il y a déjà un quart de siècle que Bruno Podalydès trace sa route hors des sentiers battus du cinéma français traditionnel qui se répartit grosso modo entre auteurs et faiseurs. Un itinéraire bis qui passe par un positionnement alternatif, résolument déconnecté des modes. De l’audace, il en fallait assurément pour adapter le diptyque de Gaston Leroux Le mystère de la chambre jaune (2003) et Le parfum de la dame en noir (2004) ou ressusciter les aventures de Bécassine ! (2018). Toujours pince-sans-rire, le réalisateur signe avec Wahou ! une comédie chorale comme il les affectionne, en s’appuyant sur un postulat élémentaire : deux agents immobiliers font visiter un appartement et une maison de banlieue à des clients potentiels. L’occasion de dépeindre des spécimens humains souvent savoureux et parfois inattendus. Un exercice de style qu’affectionne le réalisateur de Bancs publics (Versailles Rive-Droite) (2009) qui excelle dans l’art primesautier du batifolage cinématographique. Il butine ici avec une gourmandise assumée, d’un groupe fantasque de concertistes mené par Agnès Jaoui à des nouveaux riches arrogants inspectant la demeure d’un couple de retraités formé par Sabine Azéma et Eddy Mitchell (déjà associés, mais pas mariés, en 1995 dans Le bonheur est dans le pré d'Étienne Chatiliiez), en passant par le père psycho-rigide que campe Roschdy Zem. Avec pour guides dans ce dédale immobilier Karin Viard et le réalisateur en personne qui ont toujours réponse à tout. Quelle que soient les requêtes de leurs visiteurs, à l’agence Wahou ! à la raison sociale si saugrenue, le client est roi plus que partout ailleurs, quitte à ce que le conseiller se fasse parfois psy.
Eddy Mitchell et Sabine Azéma
Cette comédie de mœurs virevolte parmi ses protagonistes avec bonne humeur, comme au beau milieu d’une société microcosmique où s’expriment à peu près autant de frustrations et de déconvenues que de sentiments déplacés ou irrationnels. Podalydès s’en remet pour une bonne part à des dialogues sertis de main de maître où le moindre lapsus est révélateur d’un mal-être et où la solennité qui entoure la recherche d’un nouveau toit déclenche des torrents d’indécision et des réactions en chaîne parfois déconcertantes. Cette brillante partition est servie à merveille par des interprètes inspirés qui font corps avec leurs personnages et que leur quête immobilière plonge parfois dans des abîmes de perplexité, exhumant parfois au détour d’une phrase anodine des névroses profondes qui reflètent leur malaise existentiel. Comme lorsque l’agente sort de sa fonction pour confesser à ses visiteurs son mal-être consécutif à la perte de son compagnon ou projette son destin sur celui d’une visiteuse en qui elle a cru percevoir une complice éventuelle. Aux grands mots, les grands remèdes… L’art de Podalydès consiste à exploiter les moindres ressources du langage avec virtuosité en s’appropriant cette fameuse maxime de Talleyrand selon laquelle “la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée”. Une dialectique qui atteint un sommet dans Wahou ! où chaque personnage use de son propre langage, quitte à déconcerter parfois ses interlocuteurs sur un malentendu ou un mot détourné de son sens initial. Tel est le modeste prix à payer pour savourer la grâce ineffable de ces tranches de vie.
Jean-Philippe Guerand
Sabine Azéma et Bruno Podalydès
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