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“Vers un avenir radieux” de Nanni Moretti



Il sol dell’avvenire Film italien de Nanni Moretti (2023), avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando, Barbora Bobulova, Mathieu Amalric, Zsolt Anger, Jerzy Stuhr, Arianna Pozzoli, Valentina Romani, Teco Celio, Elena Lietti, Flavio Furno, Anna Bonaiuto, Renzo Piano, Alba Rohrwacher… 1h36. Sortie le 28 juin 2023.



Nanni Moretti



C’est au lendemain du premier échec de sa carrière, Tre piani, une adaptation littéraire artificielle dont la sortie avait été reportée d’une année pour cause de pandémie de Covid-19, que Nanni Moretti a décidé de renouer avec sa veine autobiographique afin d’exprimer sa nostalgie d’un cinéma italien qui n’est plus. Celui-là même qu’a détruit consciencieusement l’une de ses têtes de Turc, Silvio Berlusconi, qu’il a si férocement stigmatisé dans Le Caïman (2006). Le réalisateur incarne cette fois un cinéaste qui lui ressemble comme un frère, au moment où celui-ci se trouve confronté à un véritable cas de conscience en évoquant la destinée d’un intellectuel communiste confronté à l’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique en 1956. Une mise en perspective qui reflète le désarroi poignant de ces intellectuels de gauche occidentaux dont la vérité historique a remis en cause l’engagement et l’idéalisme, en les contraignant parfois à faire publiquement amende honorable de leur aveuglement passé, en donnant des gages de leur examen de conscience, mais sans renverser la table pour autant. Le doute constitue d’ailleurs l’épicentre de Vers un avenir radieux, titre évidemment ironique qui décrit également la situation du cinéaste fraîchement septuagénaire dans un monde qu’il peine de plus en plus à comprendre. Un sentiment qui culmine au cours d’une séquence d’anthologie qui voit le créateur puriste confronté aux représentants d‘une plateforme de streaming débitant des éléments de langage pour imposer leur loi, comme mus par une intelligence artificielle défaillante. Un dialogue de sourds représentatif de la nouvelle donne que cherchent à imposer ces nouveaux maîtres du monde dans un élan mondialisé auquel le Festival de Cannes résiste vaillamment sous la pression salubre des exploitants français.



Nanni Moretti et Margherita Buy



Vers un avenir radieux n’est en aucun cas un constat amer motivé par la rancœur, mais plutôt un état des lieux réaliste et un rien désabusé dans lequel Nanni Moretti s’offre un hommage final à Federico Fellini, mais aussi à celles et ceux qu’il a dirigés au fil du temps, dans une sorte de marche finale joyeuse qui évoque la liberté de la comédie musicale. Le cinéma est plus que jamais le centre de gravité de ce film gigogne qui montre son personnage principal en proie à un cas de conscience idéologique doublé d’une crise conjugale, se réfugiant dans ce monde fantasmé que perpétue le cinéma, en montrant à sa fille Lola de Jacques Demy comme une leçon de vie, pourtant d‘une autre époque. Preuve ultime que le double de fiction de Moretti en est venu à prendre pour argent comptant la vision du monde que renvoie le grand écran avec ses femmes fatales et ses romances fantasmées. Certains tireront à boulets rouges sur le cinéaste italien en lui reprochant un passéisme nostalgique qui est aussi une tendre célébration, mais ne décrète jamais que c‘était mieux avant. Force est toutefois de reconnaître à l‘artiste un courage qui confine parfois à l’audace au sein d’un cinéma transalpin à la fois coupé de ses origines et peu enclin à favoriser l’émergence de nouveaux auteurs engagés. Le mérite incontestable de Moretti consiste à rendre justice à ses maîtres et à célébrer une certaine insouciance dont il n’a d’ailleurs jamais été lui-même l’un des chantres. Avec cette coquetterie qui consiste à évoquer ce fameux âge d’or de la comédie italienne à la fin duquel il a débarqué comme un chien dans un jeu de quilles en mettant en scène une troupe de théâtre avant-gardiste dans Je suis un autarcique (1976), déclaration d’intention qui résume toujours à merveille cet auteur-réalisateur, producteur, interprète et exploitant unique en son genre. De là à en conclure que Vers un avenir radieux est un titre ironique… C’est en tout cas davantage un signe d’espoir qu’une œuvre testamentaire.

Jean-Philippe Guerand






Mathieu Amalric et Nanni Moretti

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