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“Rheingold” de Fatih Akin



Film allemand de Fatih Akin (2022), avec Emilio Sakraya, Mona Pirzad, Hussein Eliraqui, Julia Goldberg, Sogol Faghani, Karim Günes, Doga Gürer, Samir Jebrelli, Arman Kashani, Minú Köchermann, Kazim Demirbas, Ilyes Moutaoukkil… 2h18. Sortie le 28 juin 2023.



Emilio Sakraya



Dans les années 80, Giwar Hajabi, jeune Iranien de la minorité kurde dont le père a vu sa carrière de concertiste ruinée par la révolution, émigre en Irak où sa communauté est martyrisée par le régime autoritaire en place. Confronté à sa vocation pour la musique en prison, il s’illustre dans la grande délinquance en Allemagne et s’acquitte de ses dettes avant de se transformer en Xatar, l’une des stars locales du rap et du hip-hop. Après avoir donné des gages au cinéma commercial avec des films aussi consensuels que The Cut (2014) sur le génocide arménien et In the Fade (2017), qui a valu un prix d’interprétation à Diane Kruger au Festival de Cannes 2017, Fatih Akin a signé avec Golden Glove (2019) un film radical sur un tueur en série dont la bestialité ferait presque passer Peter Lorre dans M le maudit (1931) de Fritz Lang pour un enfant de chœur. Il enchaîne aujourd’hui avec le biopic d’un personnage dont le destin reflète les paradoxes et les contradictions de notre époque. À cette nuance près que son héros est aux yeux du grand public français un parfait inconnu, détail qui impose en quelque sorte la double peine au réalisateur, lequel doit non seulement nous intéresser à un destin aux multiples rebondissements, mais aussi à une trajectoire individuelle pour le moins rocambolesques qui épouse divers soubresauts géopolitiques et va se révéler emblématique de son époque.



Karim Günes, Emilio Sakraya et Kazim Demirbas



Le personnage principal de Rheingold est un aventurier déraciné qui expérimente les épreuves les plus extrêmes avant de trouver enfin sa juste place sur la terre. Cette destinée hors du commun, le spectateur français l’appréhende avec d’autant moins de présupposés que la renommée de son héros reste relativement obscure en France. Son itinéraire trouve en revanche d’évidents échos dans cette Europe dont sont issus tant de combattants partis sur le front de l’Irak ou de la Syrie sinon embrigadés dans les rangs de Daesch. C’est l’une de ces folles courses vers l’abîme que raconte Fatih Akin avec sa virtuosité coutumière et sans une once de complaisance. Pas question pour lui d’idéaliser ce personnage dont il se garde d’enjoliver la destinée au moyen des flashes-back d’usage dans ces circonstances. Ce n’est qu’à la fin que pointe sa réussite, comme une sorte de miracle en forme de rédemption. Mais il ne s’agit là que de l’aboutissement d’un véritable parcours du combattant au cours duquel le gamin traumatisé par l’humiliation infligée à son père va devoir s’égarer dans des chemins de traverse, subir la guerre et la détention, puis sombrer dans la grande délinquance par soif de l’or (d’où le titre qui évoque à la fois cet épisode et le fameux leitmotiv de “L’or du Rhin” de Richard Wagner), avant d’être reconnu enfin pour son talent propre. De ses origines turques, Fatih Akin a conservé une très forte identité qu’il imprime à son personnage à travers la composition spectaculaire de son interprète omniprésent, Emilio Sakraya, lui-même acteur et musicien. On reparlera de ce talent prometteur de seulement 26 ans…

Jean-Philippe Guerand







Emilio Sakraya

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