Documentaire belge de Paloma Sermon-Daï (2020), avec Damien Samedi, Ysma Sermon-Daï… 1h15. Sortie le 7 juin 2023.
Damien Samedi et Ysma Sermon-Daï
Pour son premier long métrage, couronné du Magritte 2022 du meilleur documentaire, Paloma Sermon-Daï a choisi de braquer sa caméra sur un duo étrange et fusionnel : celui formé par Ysma, sa propre mère avec Damien, son fils en proie à une addiction tenace qui empêche de trouver sa place dans le monde celui que les habitants de son village wallon avaient coutume d’appeler enfant “Petit Samedi”. Aujourd’hui devenu un quadragénaire mutique et contemplatif, il entretient des relations étranges avec sa mère pour qui il est resté le petit garçon qu’elle a élevé. De conversation en conversation, ces deux-là manifestent une complicité attendrissante. Comme si le temps s’était arrêté et qu’elle feignait de reconnaître le handicap de ce garçon qu’on aurait sans doute qualifié dans le temps d’idiot du village, sans tenir compte des démons qui l’assaillent et le placent en marge d’une vie normale. Président du jury du festival Premiers Plans d’Angers qui a décerné à ce film son prix Diagonales à l’unanimité, le réalisateur Pierre Salvadori s’en est fait le chantre inconditionnel en louant “un regard sur la fragilité, la maladie, la toxicomanie qui est merveilleux ; une appréhension autour de l’héroïne qui est très juste, sa façon d’être là dans sa vie, de manière diffuse, autoritaire et violente, et en même temps voluptueuse”. Il émane de cette complicité atypique autant de chaleur que de détresse, la mère continuant à couver son fils qui n’a jamais réussi à voler de ses propres ailes et s’accroche à elle comme quand il était petit.
Damien Samedi
Un raccourci temporel fait que Paloma Sermon-Daï a présenté cette année son deuxième long métrage, une fiction cette fois, Il pleut dans la maison, lors de la Semaine de la critique du Festival de Cannes où il a obtenu le prix French Touch. Cette catégorisation apparaît toutefois assez artificielle en regard de la charge dramatique qui irradie Petit Samedi, échantillon magistral de cinéma du réel, où la caméra sait se faire oublier pour cerner des moments d’une intimité vertigineuse au cours desquels le spectateur ne se trouve jamais en position inconfortable de voyeur, mais plutôt comme s’il observait cette conversation à bâtons rompus entre une mère et son fils à travers un miroir sans tain. Jamais pourtant la réalisatrice ne force notre regard ni ne tente de le manipuler. Sans doute le montage n’y est-il pas étranger qui respecte la parole de ses protagonistes sans jamais les placer dans une posture gênante et nous convie en fait à devenir les témoins silencieux d’une tragédie qui déclenche parfois aussi des moments de franche hilarité, tant chacun assume ses responsabilités avec une spontanéité et un naturel désarmants, en conférant à ce jeu de rôles dépourvu de langue de bois une intensité humaine qu’aucune fiction ne serait parvenue à reproduire avec une telle justesse. C’est toute la magie de ce jeu de la vérité d’une incroyable pudeur où les mots se révèlent consolateurs et rassurants.
Jean-Philippe Guerand
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