Film syrio-britanno-français de Soudade Kaadan (2022), avec Jinda Aloush, Hala Zein, Samir Almasri, Nizar Alani, Darina Aljoundi, Nabil Abousalih, Samer Seyyid Ali… 1h43. Sortie le 21 juin 2023.
Hala Zein et Jinda Aloush
La capacité de résilience de certains artistes s’avère parfois déconcertante. Quelques documentaires ont réussi à rendre compte de la vie quotidienne dans la Syrie martyrisée. En revanche, très peu de fictions se sont jusqu’à présent hasardées sur ce front dévasté. Avec Nezouh, la réalisatrice Soudade Kaadan a tenté de parer d’un soupçon d’humanité une situation a priori désespérée. Dans un immeuble de Damas vidé de ses occupants, une famille s’accroche coûte que coûte à cet espace vital qui lui reste, alors même que tous les autres habitants ont pris la fuite. L’état de délabrement du quartier constitue en fait la meilleure assurance que chaque jour qui passe ne pourra pas se révéler pire que ceux qui l’ont précédé pour cette tribu si attachée à son toit, aussi endommagé puisse-t-il être. Les bombardements se font encore entendre dans le lointain, mais même les derniers combattants se sont résolus à abandonner les ruines de ce quartier fantôme désormais désertées par leurs habitants dont certains sont morts et les autres partis pour des zones plus préservées par l’anéantissement aveugle de son peuple auquel se livre Bachar al-Assad avec le soutien de la Russie. Jusqu’au moment où un missile provoque un trou au beau milieu de cet appartement, en offrant à ses habitants une vue imprenable sur le monde qui les entoure et dont ils vivaient jusqu’alors isolés, comme dans une cellule protectrice. La menace se faisant plus pressante, le moment de partir semble irrémédiable. Mais c’est compter sans la volonté irrationnelle du père de famille bien déterminé à demeurer chez lui, quoi qu’il en reste…
Samir Almasri et Hala Zein
C’est dans ce contexte dévasté et cette situation désespérée que Nezouh s’attache à l’amitié de deux adolescents, Zeina et Amer, qui feignent de faire fi de la tragédie pour dormir à la belle étoile, comme inconscients du danger qui plane au-dessus d’eux, au propre comme au figuré. Sa réalisatrice a décidé de rompre avec la pensée unique qui préside à la représentation du martyre syrien sur les écrans, principalement dans des œuvres de ce qu’on qualifie de cinéma du réel, en choisissant de traiter d’une histoire atypique propice à exprimer des valeurs universelles. Derrière cette fausse insouciance des enfants et ce père têtu qui se pense plus fort que les évènements, affleure l’esprit de résistance d’un peuple qui n’a en fait plus grand-chose à perdre depuis que son propre chef d’état s’est montré résolu à l’anéantir. Un génocide qui s’exprime ici à travers une bonne dose de poésie qui s’apparente à ce que Soudade Kaadan qualifie elle-même de “réalisme magique”. C’est d’ailleurs quand il prend le parti de s’évader de la réalité la plus prosaïque que le film trouve une autre dimension, à l’instigation de ses deux protagonistes féminins principaux : la fille qui réussit à conjurer son vertige et sa mère qui ose s’élever contre la décision de son mari, contesté là dans son statut de chef de famille, comme un colosse aux pieds d’argile dont le pouvoir se délite. Au passage, s’instaure un nouveau rapport au sein même de cette famille passée symboliquement de l’obscurité à la lumière, sous l’effet de la bombe qui l’a condamnée en quelque sorte à vivre à ciel ouvert et a en fait ébranlé son fonctionnement hiérarchique en conférant un nouveau pouvoir aux femmes. Comme une révolution dans une autre révolution…
Jean-Philippe Guerand
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