Film d’animation lettono-américano-luxembourgeois de Signe Baumane (2022), avec (voix) Dagmara Dominczyk, Matthew Modine, Michele Pawk, Cameron Monaghan, Stephen Lang, Erica Schroeder, Emma Kenney, Anna O’Donoghue… 1h48. Sortie le 7 juin 2023.
Voici un film d’animation résolument anticonformiste dans lequel une gamine biberonnée aux chansons et aux contes de fées a la conviction que son salut passera par l’amour, pour peu qu’elle accepte de se conformer aux normes en vigueur. Pourtant, au fil des ans, son corps se met à afficher les stigmates de son insoumission. C’est en s’inspirant de sa propre expérience de femme mariée à deux reprises et en proie à l’aliénation des conventions sociales que la réalisatrice lettone installée à New York Signe Baumane a conçu son deuxième long métrage à travers le prisme d’un féminisme aussi actuel que décomplexé. My Love Affair with Marriage (littéralement Mon histoire d’amour avec le mariage) utilise la liberté du cinéma d’animation et ses ressources créatives quasiment illimitées pour traduire en images des théories philosophiques plutôt sophistiquées. Le graphisme s’efforce d’y représenter les sensations et les sentiments en nous mettant à la fois dans le corps et dans la tête de son héroïne confrontée à une intimité qui lui échappe, alors qu’elle prétend tout contrôler. Le tout en conceptualisant des découvertes scientifiques complexes que la réalisatrice matérialise sur un mode résolument ludique pour mieux rendre accessibles au spectateur des concepts aussi sophistiqués que le spleen, la dépression ou le coup de foudre. Des thèmes déjà abordés dans son premier long métrage, Rocks in My Pockets (2014), lequel s’attachait à une malédiction familiale sur un siècle qui a entraîné inéluctablement les femmes de sa famille vers la dépression et le suicide.
My Love Affair with Marriage est une mise en boîte corrosive des comédies sentimentales traditionnelles qui s’appuie sur un syncrétisme bouillonnant de créativité. La réalisatrice y inscrit des personnages dessinés à la main dans des décors en trois dimensions, tout en mettant les ressources de la photo, du théâtre, de la comédie musicale et de l’imagerie scientifique au service d’un récit débordant d’imagination. Le résultat est un maelström atypique qui joue en permanence des ruptures de ton pour nous faire partager les états d’âme d’une femme aux prises avec elle-même qui semble parfois comme possédée par ses pulsions incontrôlables. Sur le plan graphique, le film manifeste une inventivité inépuisable et adapte en permanence son esthétique à son propos, parfois complexe. Le résultat ne s’adresse évidemment pas en priorité aux enfants, ne serait-ce qu’en raison de la sophistication extrême de son propos et même si Signe Baumane multiplie les séquences spectaculaires en jouant sur une gamme d’effets particulièrement vaste et en s’autorisant les audaces visuelles les plus délirantes, que ce soit en matière de couleurs ou de formes. Un vrai bonheur pour un sémiologue, tant ce fourre-tout protéiforme illustre la théorie énoncée par Bruno Bettelheim dans “Psychanalyse des contes de fées” (Robert Laffont, 1976) selon laquelle “ils permettent de se forger une première idée de la morale car ils s’adressent simultanément à plusieurs niveaux de la personnalité en même temps qu’ils enrichissent la vie intérieure de l’enfant.” On n’a pas fini de percer les secrets de cette œuvre d’art.
Jean-Philippe Guerand
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