Film franco-libanais de Carlos Chahine (2022), avec Marilyne Naaman, Antoine Merheb Harb, Nathalie Baye, Pierre Rochefort, Talal Jurdi, Ahmad Kaabour, Christine Choueiri, Joy Hallak, Ruby Ramadan… 1h23. Sortie le 14 juin 2023.
Marilyne Naaman
Dans la montagne libanaise, en 1958, alors que résonnent les échos de la révolution qui se déroule à Beyrouth et semble préluder à des temps nouveaux, des visiteurs français en villégiature sont accueillis par une famille chrétienne de la haute société dont la fille aînée se rebelle contre l’avenir que lui dicte malgré elle le patriarcat en usage. Immersion saisissante au cœur d’une société que le réalisateur Carlos Chahine qualifie lui-même de “féodale”, alors qu’il a lui-même quitté son pays en 1975, en raison de la guerre civile qui le déchirait. Il choisit d’ailleurs de raconter cette histoire qui se déroule juste avant sa naissance du point de vue d’un petit garçon qui est ce que sa mère a de plus précieux au monde et dont elle prend le risque insensé d’être séparée par son désir d’émancipation. Cette étude de mœurs, qu’on pourrait qualifier de tchékhovienne en raison de la place prépondérante qu’y occupent ses personnages féminins, est sublimée par la pertinence de son casting où deux comédiens français tout en élégance et en délicatesse, Nathalie Baye et Pierre Rochefort, côtoient des talents libanais tous à leur juste place. À commencer par les trois sœurs dont la splendeur éblouit littéralement cette histoire dont la modernité trouve aussi des échos universels dans le monde d’aujourd’hui si perturbé.
Nathalie Baye et Marilyne Naaman
Vu comme acteur dans le rôle principal de Terra incognita (2002) de son compatriote Ghassan Salhab, Carlos Chahine signe avec La nuit du verre d’eau son premier long métrage. Un magnifique portrait de femme indissociable de la composition magistrale de la comédienne Marilyne Naaman dans le rôle d’une mère de famille prête à tout sacrifier, son couple comme son enfant et surtout son statut social confortable, afin de donner libre cours à ses idées progressistes en assumant une émancipation alors encore très utopique. Carlos Chahine n’a besoin ni de bruit ni de fureur pour intégrer cette modernité anachronique et idéalisée dans un cadre intemporel forgé par des siècles de tradition. C’est en effet un monde à part qui sert de décor à cette étude de caractères qu’on pourrait aller jusqu’à qualifier de drame bourgeois, tant ses protagonistes apparaissent façonnés par leur milieu. Or, c’est précisément contre cette fatalité écrasante que se révolte son personnage féminin moderne dont l’attitude trouve des échos évocateurs au beau milieu du silence assourdissant et contraint de ses aînées. Au point que le film s’achève sur une interrogation : que deviendra donc la détermination de cette Layla si audacieuse dans un pays dont la modernité et l’évolution restent entravées par des structures sociales et religieuses aussi contraignantes ? Là, il faudrait que Chahine en imagine lui-même la suite pour qu’on soit en mesure de répondre à cette question fondamentale.
Jean-Philippe Guerand
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