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“How to Save a Dead Friend” de Marusya Syroechkovskaya



Documentaire suédo-norvégo-franco-allemand de Marusya Syroechkovskaya (2022), avec Kirill Morev, Marusya Syroechkovskaya… 1h43. Sortie le 28 juin 2023.



Marusya Syroechkovskaya



Le documentaire est sans doute le genre cinématographique qui évolue le plus. Au point d’en avoir engendré un autre devenu désormais foisonnant : le cinéma du réel, avec pour épicentre l’humanité sous tous ses aspects. How to Save a Dead Friend illustre ce nouveau langage à travers l’évocation d’un jeune homme que sa compagne a filmé pendant des années dans des home movies, avant même l’avènement des smartphones. Adolescent russe révolté, Kimi emprunte les chemins sinueux de la rébellion dans un pays qui ne la tolère qu’à condition qu’elle n’ait aucune incidence sur la collectivité. Il se réfugie donc dans des paradis artificiels : le mouvement punk et les substances délétères. Un moyen radical d’abréger son existence qui ressemble à un véritable calvaire générationnel et dont témoigne a posteriori le film de Marusya Syroechkovskaya. Une tentative de biopic très singulière qui trouve des échos terribles dans la situation actuelle de la Russie et le silence assourdissant de sa jeunesse condamnée à se réfugier dans le suicide ou l’exil pour éviter d’aller combattre ses frères ukrainiens. C’est tout l’intérêt de ce projet qui parvient à refléter à travers des images anodines de la vie quotidienne au fil d’une douzaine d’années de complicité, avec en toile de fond l’état d’esprit d’un peuple coupé du monde qui a mal à sa jeunesse et a ironiquement donné une signification concrète au slogan punk “No Future” inspiré par la chanson “God Save the Queen” des Sex Pistols.



Marusya Syroechkovskaya et Kirill Morev



Comment sauver un ami mort : le titre de ce film d’amour donne la mesure de son propos altruiste. D’emblée, on en connaît l’issue tragique, présentée comme une sorte de fatalité sociale imparable sinon encouragée par le système. Attiré par la musique et la poésie, Kimi est un jeune homme sain et prometteur qui va se trouver entraîné dans un engrenage implacable, malgré son amitié amoureuse avec Marusya qu’il a convaincu de renoncer à mettre fin à ses jours l’année de ses 16 ans et qui va le protéger toute sa vie durant, sans parvenir pour autant à le préserver des démons qui le hantent. Comme amie, comme épouse et comme complice. Jusqu’à sa mort inéluctable en novembre 2016. Ceci posé, cette chronique d’une autodestruction annoncée avance vers un dénouement qu’on pressent inéluctable, entre brève euphorie et profonde dépression. How to Save a Dead Friend s’impose comme le cri du cœur d’une génération perdue, mais aussi en filigrane comme le tableau d’un pays dévasté par trop de misère et de violence institutionnalisées. La réalisatrice se réclame des cinéastes américains Gregg Araki et Harmony Korine par la faune qu’elle décrit et une esthétique abreuvée de musique, avec en filigrane les grandes tragédies de l’époque, des conséquences de la chute du Mur de Berlin aux attentats terroristes du 11 septembre, l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux. Cette chronique des années 2000 s’avère riche d’enseignements prémonitoires sur cette Russie d’aujourd’hui que l’invasion de l’Ukraine a achevé d’isoler du reste du monde. C’est par ailleurs un témoignage poignant sur toutes les vies qu’elle a gâchées.

Jean-Philippe Guerand







Kirill Morev

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