Film américain de Wes Anderson (2023), avec Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Jeffrey Wright, Tilda Swinton, Bryan Cranston, Edward Norton, Adrien Brody, Liev Schreiber, Hope Davis, Stephen Park, Rupert Friend, Maya Hawke, Steve Carell, Matt Dillon, Hong Chau, Willem Dafoe, Margot Robbie, Jeff Goldblum… 1h46. Sortie le 21 juin 2023.
Bryan Cranston
Les auteurs capables de se reconnaître à leur univers sont de plus en plus rares, tant le cinéma commercial a tendance à tout uniformiser afin de veiller à plaire au plus grand nombre. Du coup, afficher son style est devenu peu à peu un défaut en soi, même s’il assure à une poignée d’originaux un statut à part. Wes Anderson est de ceux-là dont chaque nouvel opus est conçu comme un objet destiné à devenir culte en nourrissant un fétichisme partagé. Au point qu’on en a perdu de vue depuis déjà quelques films sa finalité en soi. Asteroid City marque en quelque sorte aujourd’hui la limite de ce système ludico-esthétique qui en est arrivé à tourner à vide. L’opus précédent du réalisateur américain installé en France avait déjà donné du grain à moudre à ceux qui lui reprochaient de dessiner de splendides arabesques sous des prétextes réduits à leur plus simple expression. Bref de filmer pour ne rien dire, mais en convoquant paradoxalement toutes les composantes qui contribuent à la magie du septième art : un soin méticuleux apporté au moindre détail, des interprètes prestigieux qui n’effectuent parfois qu’une apparition fugitive et puis s’effacent au profit d’un(e) autre. C’était la limite de The French Dispatch (2021), calendrier de l’avent alambiqué dont chaque case recelait une surprise, sans lien véritable avec les autres. C’est à nouveau le cas dans Asteroid City, titre emprunté au nom d’une bourgade désertique imaginaire du sud-ouest des États-Unis où se trouvent rassemblés en ce mois de septembre 1955 les participants d’une convention annuelle réunissant de jeunes inventeurs et leurs familles, tandis que s’élèvent non loin de là des champignons atomiques du plus bel effet et que débarque… une soucoupe volante venue d’ailleurs.
Jason Schwartzman et Scarlett Johansson
Wes Anderson et son fidèle coscénariste Roman Coppola manifestent une imagination débordante qu’ils mettent trop souvent au service de prétextes aussi vains que superficiels. Ils enrobent ici ce rassemblement saugrenu de surdoués en culottes courtes d’une mise en perspective au cours de laquelle un animateur de télévision présente la pièce de théâtre en noir et blanc dont le film est supposé être le pendant en couleur. Reste que la nature a horreur du vide et que la mise en scène déploie des trésors de prétextes artificiels pour nous faire croire que ce qui se joue à l’écran est de la plus haute importance. Asteroid City ne manque pourtant pas d’atouts pour séduire. À commencer par une organisation formelle de l’espace qui relève de l’art du miniaturiste et s’appuie sur un parti pris graphique de plus en plus influencé par l’hebdomadaire chic “The New Yorker” dont le Français Jean-Jacques Sempé fut l’un des illustrateurs de prédilection. Une vision idéalisée d’un monde perdu qu’il est allé jusqu’à reconstituer en Espagne, quitte à y faire venir son cheptel de stars hollywoodiennes, ses puissantes cylindrées vintage et ce climat délétère qui régnait à l’époque de la Guerre Froide, avec la surenchère nucléaire en guise de leitmotiv.
Jake Ryan, Jason Schwartzman et Matt Dillon
L’autre caractéristique principale de Wes Anderson réside dans son humour pince-sans-rire qui s’exprime çà et là à des détails parfois infimes et va de pair avec une mise en scène qui joue à dessein de la géométrie. Reste que sa caractéristique principale réside dans sa capacité à faire exister certains de ses protagonistes, parfois en un geste ou une réplique, au sein d’un labyrinthe narratif tortueux et pour tout dire assez snob dont la finalité n’apparaît pas toujours comme une évidence. Il rassemble cette fois des personnages hétéroclites dans un endroit isolé où l’on attend un événement qui tarde à se produire, mais suscite dans l’intervalle des rencontres improbables parfois cocasses, en esquissant des destinées alternatives sous prétexte d’une rencontre. Sans qu’à la fin il soit véritablement possible de s’expliquer le pourquoi du comment, tant la psychologie proprement dite importe peu à ce réalisateur facétieux capable de s’amuser d’un détail ou de nous régaler de l’apparition saugrenue d’un extra-terrestre filiforme qu’on croirait échappé de Mars Attacks ! À cette nuance près qu’on peut préférer l’original à la copie et que Tim Burton restera toujours insurpassable sur ce registre et en tout cas nettement moins maniéré. Il est grand temps que Wes Anderson cesse d’exécuter de tels moulinets pour se contenter de brasser de l’air. Son prochain film destiné à Netflix, La merveilleuse histoire d'Henry Sugar, est d’ailleurs l’adaptation d’un conte de Roald Dahl qui devrait le contraindre à retrouver ses marques en tant que conteur et à rendre une nécessité tangible à ses morceaux de bravoure.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire