Accéder au contenu principal

“The Wild One” de Tessa Louise-Salomé



Documentaire français de Tessa Louise-Salomé (2023), avec (voix) Willem Dafoe, Jack Garfein, Irène Jacob, Peter Bogdanovich, Blanche Baker, Geoffrey Horne, Bobby Soto, Patricia Bosworth, Foster Hirsch, Kate Rennebohm, Dick Guttman… 1h34. Sortie le 10 mai 2023.





The Wild One est le titre original de L’équipée sauvage de Laslo Benedek, un film qui a contribué il y a tout juste soixante-dix ans à la gloire de Marlon Brando en blouson noir et au rayonnement de l’Actors Studio à travers la modernité du jeu de ses jeunes interprètes adeptes de la fameuse Méthode prônée par Lee Strasberg. The Wild One est aujourd‘hui un documentaire consacré à célébrer la mémoire de l’un de ses plus célèbres disciples, Jack Garfein, qui a passé la fin de son existence à Paris où il a formé d’innombrables comédiens. Un homme intègre qui a porté toute sa vie le poids d’un passé particulièrement douloureux. Né dans une famille juive de Tchécoslovaquie en 1930, il est déporté à l’âge de 13 ans, réchappe à pas moins de onze camps de concentration et immigre aux États-Unis parmi le premier groupe de survivants de la Shoah. Formé par le légendaire Erwin Piscator, en exil lui aussi, il devient le premier metteur en scène admis au sein de l’Actors Studio et fondera plus tard son antenne sur la Côte Ouest en 1966, au terme d’une brillante carrière qui lui a valu d’être assistant d’Elia Kazan et de George Stevens. Il se lance à son tour dans la réalisation avec deux films extrêmement controversés, au moment où sévissent le Maccarthysme, la ségrégation raciale et la Guerre Froide : Demain ce seront des hommes (1957) et Au bout de la nuit (1961), qu’interprète son épouse Carroll Baker, l’inoubliable Baby Doll de son ami Kazan. Deux œuvres audacieuses louées par la critique, mais stigmatisées par la censure, qui mettront un terme définitif à ses ambitions cinématographiques et l’inciteront à se consacrer à l’enseignement, pour transmettre ce qu’il a appris. Toujours en veillant à mêler l’artistique à l’humain.





Remarquée pour Drive in Holy Motors (2013) et Mr. X (2014), deux documentaires qui tournaient autour de Leos Carax, Tessa Louise-Salomé consacre aujourd’hui à Jack Garfein (mort fin 2019) un film aussi élégant que documenté qui souligne subtilement comment une vie peut se changer en destin au fil des circonstances qu’elle est amenée à traverser. On y croise les spectres et les fantômes d’une vie hors du commun consacrée à transmettre sa passion aux autres sans jamais tenir le premier rôle. La réalisatrice choisit d’évoquer cette personnalité hors du commun à travers les traces qu’il a laissées chez celles et ceux qui l’ont côtoyé, sacrifiant la rançon de la gloire au profit d’une haute idée de l’homme qui transparaît à travers les témoignages de ses disciples, désormais chargés de perpétuer son enseignement et sa mémoire. Ironie du sort, Garfein a passé des années à Paris où le studio qui portait son nom a formé des comédiens tels qu’Irène Jacob, Laetitia Casta ou Samuel Le Bihan. The Wild One esquisse les contours d’un personnage singulier mais infiniment discret qui a épousé les plus grandes tragédies de son existence et en a acquis une force de résilience hors du commun. Toujours dans l’ombre des géants, mais avec l’obsession de léguer ce qu’il avait lui-même appris. C’est l’apanage des passeurs et des passionnés. Jack Garfein est malheureusement décédé en décembre 2019 aux États-Unis, aussi discrètement qu’il avait vécu, sans voir son destin si joliment raconté.

Jean-Philippe Guerand







Audrey Hepburn et Shirley MacLaine

dans La rumeur (1961) de William Wyler

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract