Potemkiniștii Film roumain de Radu Jude (2022), avec Alexandru Dabija, Cristina Drăghici 0h18. Mise en ligne le 25 mai 2023 sur Mubi.
Alexandru Dabija et Cristina Drăghici
Étonnante démarche que celle du réalisateur roumain Radu Jude qui, au lendemain de l’Ours d’or obtenu à Berlin en 2021 pour son onzième long métrage, Bad Luck Banging or Loony Porn, a enchaîné les courts métrages à un rythme soutenu. Le dernier d’entre eux, The Potemkinists, a été présenté à la Quinzaine des cinéastes en 2022. Il s’attache à la rectification d’une erreur historique perpétuée par le cinéma et la propagande soviétiques. Dans Le cuirassé Potemkine (1925), Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein mettait en scène la mutinerie du navire au terme de laquelle le film s’achevait sur une pactisation héroïque entre le peuple et les marins après un massacre. La réalité était en fait toute autre. Le bateau a en effet rallié les côtes de la Roumanie où ses occupants ont demandé l’asile politique en 1905 et se sont peu à peu intégrés à la population locale qui leur a même érigé une statue géante saccagée au fil du temps par des vandales en quête de métal à écouler. Radu Jude a imaginé la rencontre d’une fonctionnaire du ministère de la Culture locale avec un sculpteur féru d’histoire pour évoquer la réhabilitation du monument et l’ajout d’éléments supplémentaires destinés à prendre en compte l’évolution des mentalités vis-à-vis de ce passé sulfureux et controversé. En contrepoint à cette visite de chantier, il intercale des extraits du Cuirassé Potemkine, dont la fameuse dégringolade du landau dans les escaliers d’Odessa, afin de souligner à quel point l’art a nourri la propagande en accouchant d’un chef d’œuvre de l’histoire du cinéma. Jusqu’au moment où le génial Eisenstein lui-même est tombé en disgrâce auprès de Joseph Staline et en est mort à tout juste 50 ans.
Alexandru Dabija et Cristina Drăghici
Tout l’intérêt de The Potemkinists réside dans sa tentative de contextualisation d’une œuvre cinématographique du patrimoine mondial, désignée comme le meilleur film de tous les temps lors d’un sondage effectué parmi la critique internationale en 1958. Entre les images du court métrage du toujours sardonique Radu Jude pointe une autre cible, contemporaine celle-là : la stature du commandeur Vladimir Poutine, même si un carton nous avertit dès le préambule que le film est antérieur à l’invasion de l’Ukraine. Il se présente donc comme une parabole à plusieurs niveaux qui éclaire le passé à la lumière du présent et vice versa. Le cinéaste a recours pour cela à une mise en scène minimaliste dans des décors chargés d’une puissance symbolique appuyée. Il début au bas d’un escalier qui évoque celui d’Odessa en plus étroit et se poursuit au pied d’un monument chargé de symboles dont les bas-reliefs ont été volés, comme l’attestent ses pans en béton recouverts de tags. Il ne faut guère plus d’un quart d’heure à Jude pour signer ce codicille facétieux d’un chef d’œuvre de l’histoire du cinéma dans lequel il prend le risque insensé de se confronter à un maître dont il éclaire les images d’un regard inédit. Une perle à recommander aux plus puristes des cinéphiles.
Jean-Philippe Guerand
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